Dans les couloirs sombres des prisons, le professeur Hans Wolff, médecin-chef du Service de médecine pénitentiaire des HUG depuis 2007, avance l’œil clair. Équité, justice et liberté sont ses maîtres-mots.
«Pour entrer à Champ-Dollon, il faut passer sept portes, plus épaisses les unes que les autres. Après mes premières visites, je ressentais très intensément l’enfermement, puis ce vent de liberté lorsque je repartais à vélo», se souvient le Pr Hans Wolff. Des destins qui basculent, il en a vu plus d’un : «Les gens qui sont derrière les barreaux sont comme vous et moi. Un jour, ils ont commis un crime ou un délit et la grande majorité le regrette toute leur vie», observe-t-il. Mais certains ont cumulé de nombreuses difficultés, avec souvent des traumatismes dès l’enfance. Hans Wolff, lui, mesure sa chance d’être bien né.
À l’âge de 5 ans, il quitte l’Allemagne pour la Turquie. Son père enseigne les mathématiques et la physique à l’école allemande d’Istanbul. «Je passais beaucoup de temps dehors, je parlais le turc.» Vivre à l’étranger façonne le garçon : «J’ai connu la position de migrant, même si nous étions privilégiés.» Une ouverture sur le monde qui lui sert aujourd’hui lorsqu’il arpente les couloirs de Champ-Dollon, qui abrite 115 nationalités. À douze ans, il retourne en Forêt noire : «C’était l’automne, il faisait froid, la solitude liée au déracinement pesait. Jouer dans une équipe de volley-ball m’a permis de m’intégrer.»
Puis vient le temps des études. Au droit et à l’enseignement, Hans Wolff préfère la médecine, guidé par son intérêt pour l’humain. «Je voulais un métier que je pouvais exercer partout dans le monde». À la fin de son cursus, il part à Genève avec son épouse, médecin elle aussi. C’est là, à la Policlinique de médecine dirigée par Hans Stalder, que sa fibre pour la médecine sociale et communautaire se révèle : «J’ai travaillé au développement de l’accès aux soins pour les personnes sans domicile fixe.» Très touché par cette expérience, Hans Wolff ressent le privilège d’œuvrer à davantage de justice sociale. Son chef lui demande de reprendre le Service de médecine pénitentiaire. Il accepte ce poste très exposé aux critiques : «Cette spécialité est perçue comme une médecine de seconde zone. Tout le monde a un avis sur la prison, d’où la nécessité de faire preuve de transparence et d’excellence, par la recherche scientifique et une bonne communication.» Il apprécie de pouvoir compter sur un appui fort des autorités hospitalières. Son réseau dépasse la seule Genève internationale. Hans Wolff a visité plus de cent lieux de privation de liberté, dans plus de vingt pays différents. En tant que membre du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), il milite, en Suisse et dans le monde, pour le respect de l’individu, des droits humains, et pour une équivalence des soins à l’intérieur des prisons : «Mes patients sont des patients, pas des prisonniers. Tout le défi de la médecine est d’envisager le patient comme une personne et d’être dans une relation thérapeutique.»
Les défis sanitaires en prison sont vastes : addictions, santé mentale, maladies infectieuses, blessures, mais le plus grand d’entre eux est sans doute la surpopulation : «Dans la capitale des droits humains, le taux d’occupation dépasse les 160 %. Cette promiscuité engendre la violence et met la santé en péril», s’indigne Hans Wolff. Face à une population en très grande difficulté, il croit fermement à son action : «Lorsqu’on parvient à aider les gens, on ressent une intense satisfaction.» Mais certaines situations sont plus compliquées sur le plan émotionnel. C’est le cas des visites du CPT et des lieux de détention administrative de migrants, où les conditions sont très dures : «Cela fait écho à l’état précaire de notre monde, aux flux migratoires, etc. Les gens sont dans une détresse totale. La prise en charge médicale y est compliquée car les patients restent peu de temps. Cela soulève de lourds problèmes éthiques.»
Malgré tout, Hans Wolff avance. Dans l’écoute, le dialogue et l’exigence. Des projets innovants lui tiennent à cœur, comme le programme d’échange de seringues. Mais ce dont il est le plus fier, c’est de partager des valeurs avec ses collaborateurs et collaboratrices : «Leur parole est libre, cela demande du courage et de l’engagement. Personne ne se sent enfermé dans un carcan.» Dans un milieu aussi surveillé et empreint de suspicion, il a l’art de faire confiance et de faire ressortir les qualités de chacun.
1963 Naissance à Rottweil, en Allemagne.
1968-1975 Scolarité à Istanbul, Turquie.
1992 Doctorat de médecine à Marburg, en Allemagne.
1993 Début d’activité aux HUG.
1998-2004 FMH en médecine interne, puis master en santé publique.
2012 Membre de la Commission centrale d’éthique de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM).
Dès 2013 Représentant de la Suisse auprès du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe.
Texte:
- Elodie Lavigne
Photos:
- Nicolas Righetti | lundi13