Le cancer du sein est le plus fréquent chez les femmes, mais c’est aussi l’un de ceux qui se traitent le mieux, grâce à de récentes avancées majeures. Entretien avec la Dre Anita Wolfer, nouvelle responsable du Centre du sein des HUG.
Pulsations : Quelles sont les principales missions du Centre du sein ?
Dre Anita Wolfer : Notre centre multidisciplinaire a pour mission d’apporter aux personnes touchées par le cancer du sein – des femmes principalement, mais aussi des hommes dans 1% des cas – la meilleure stratégie diagnostique et thérapeutique possible, tout au long du suivi. En tant que centre universitaire, nous bénéficions d’une expertise médicale (sénologie*, chirurgie plastique, oncologie, oncogénétique, imagerie, médecine nucléaire, etc.), d’un plateau technique de pointe et de programmes de recherche d’envergure. L’implication de différentes professions médicales dans le parcours thérapeutique est aussi primordiale.
* Détection et traitement des pathologies du sein.
Le nombre de personnes touchées par le cancer du sein est-il en augmentation
en Suisse ?
Une hausse se confirme chez les femmes avant la ménopause dans les pays occidentaux, dont la Suisse. Heureusement, la mortalité est nettement à la baisse pour toutes les classes d’âge. Par ailleurs, nous dépistons de mieux en mieux ce cancer, notamment grâce aux connaissances autour des facteurs de risque, dont les principaux sont la prédisposition génétique, l’âge, la densité des seins ou encore l’alcool et le tabac.
Quelles avancées thérapeutiques ont contribué au recul de la mortalité ?
Il y a eu trois grands tournants : les traitements ciblés anti-HER2 (un gène impliqué dans environ 15% des cancers du sein), l’arrivée des anticorps conjugués (une alternative à la chimiothérapie ciblant la tumeur) et le développement de l’immunothérapie (stratégie permettant au système immunitaire de reconnaître et combattre les cellules cancéreuses). À noter que ces traitements sont très spécifiques à certaines tumeurs et ne peuvent pas être utilisés dans tous les cas.
Les programmes cantonaux de dépistage ont-ils également joué un rôle positif ?
Oui, des études ont clairement montré un bénéfice sur la survie. Mais des discussions sont toujours en cours autour de l’âge seuil pour ces campagnes. En Suisse romande, la recommandation s’adresse aux femmes à partir de 50 ans. Pour ma part, face à des antécédents familiaux de cancer du sein survenu à un jeune âge, et après concertation médicale, je propose des dépistages plus tôt, dès 40 ans.
Quelles innovations scrutez-vous de près ?
Je m’intéresse beaucoup à l’ADN circulant, qui va prochainement faire l’objet d’une étude aux HUG. Il s’agit de rechercher, dans le sang, de l’ADN de cellules tumorales pour détecter précocement les récidives, avant qu’elles n’apparaissent sur les scanners, mais aussi de mieux cibler les traitements. Cette nouvelle technologie pourrait également aider à amorcer une désescalade thérapeutique. L’absence d’ADN circulant dans le sang semble indiquer que la tumeur est contrôlée et que la chimiothérapie n’est peut-être plus nécessaire. Pour l’instant, cette technique reste expérimentale dans le cadre d’études cliniques, mais elle représente un axe de recherche très prometteur en oncologie.
Vous évoquez la «désescalade thérapeutique», est-ce un sujet qui vous tient à cœur ?
Oui, beaucoup. Lorsque le diagnostic tombe, le premier objectif est la guérison à tout prix, et c’est normal. Mais cette maladie se soigne bien aujourd’hui : environ 90% des patientes avec un cancer du sein précoce sont en vie à cinq ans du diagnostic. Il est important de prendre du recul pour peser le pour et le contre de chaque traitement proposé : quel est le bénéfice réel ? Quelles sont les toxicités, parfois lourdes et durables, acceptées? Survivre au cancer est la priorité, mais en conservant une bonne qualité de vie, c’est encore mieux. Pour cela, les discussions multidisciplinaires sont primordiales, afin d’intégrer tous les aspects de la prise en charge, comme l’accompagnement psychologique, le retour au travail, la reconstruction mammaire, la préservation de la fertilité, les soins pour faciliter la cicatrisation (thérapie hyperbare), etc.
Dre Anita Wolfer, responsable du Centre du sein des HUG.
Texte:
- Clémentine Fitaire
Photos:
- François Wavre | lundi13