Texte: 

  • Laetitia Grimaldi

Photos: 

  • Hervé Annen

« Cette année, le monde s’est arrêté »

Professeur honoraire et ancien doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Genève, le Pr Henri Bounameaux est le nouveau président de l’Académie suisse des sciences médicales. Un poste assumé avec une énergie et une détermination à la hauteur des défis actuels.

Pulsations : Vous avez pris vos fonctions de Président de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) le 1er mai dernier, en pleine crise sanitaire du COVID-19. Dans quel état d’esprit avez-vous entamé ce mandat ?
Pr Henri Bounameaux :
Très vite, il a fallu concilier une situation d’urgence avec un besoin de sérénité pour avancer au mieux dans un flot d’informations ininterrompu et parfois insensé. En tant qu’institution engagée à l’interface entre le monde de la science et la société, l’ASSM a été mobilisée sur plusieurs fronts à la fois avec des degrés d’urgence divers. Dès le début de l’année, nous avons été mandatés par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) pour émettre des recommandations médico-éthiques à l’intention des établissements de soin en vue d’une distribution éthique et raisonnée des ressources médicales. Il s’agissait notamment d’aborder la question de l’accès aux soins intensifs afin d’éviter des choix arbitraires en cas de manque de lits pour traiter tous les patients. L’autre volet de notre action a été – et est toujours – que des leçons soient tirées de cet événement extrême, qui aurait pu être pire encore…

Qu’entendez-vous par là ?
Le monde a toujours connu des pandémies et il en connaîtra encore. L’ampleur de celle du Covid-19 s’explique à la fois par le virus lui-même – sa forte contagiosité et le fait qu’il était jusque-là absent dans l’espèce humaine – mais également par le monde dans lequel nous vivons. L’intensité des échanges abolit toute frontière pour des virus qui ont la possibilité de se répandre à une vitesse vertigineuse, en tout point de la planète. Or il n’est pas impossible que des virus plus virulents encore empruntent un jour cette voie. Certaines recommandations, sur les stocks de masques par exemple, étaient dans des tiroirs depuis des années… On peut espérer que la crise a cette fois été suffisamment sévère pour qu’on ne l’oublie pas.

Quelles pistes de changement vous semblent-elles prioritaires ?
Elles sont évidemment multiples et nécessitent des expertises de toutes parts : scientifiques, médicales, sociologiques, éthiques. La Confédération a mis en place des groupes de travail spécifiques, faisant intervenir des membres de l’ASSM, comme la Pre Samia Hurst, directrice de l’Institut Histoire, éthique et humanités de la Faculté de médecine de Genève, pour les questions éthiques, ou le Pr Marcel Tanner, ancien directeur de l’Institut tropical et de santé publique de Bâle. Parmi les sujets : la prise en charge des personnes âgées en institution, notre dépendance vis-à-vis de ressources extérieures ou encore une réflexion sur la pertinence des mesures prises. Cette année, le monde s’est arrêté. Au vu des conséquences individuelles et collectives en jeu, nous devons unir nos forces et nos connaissances pour que cela ne se reproduise plus.

Croyez-vous également à la voie d’une meilleure collaboration internationale ?
C’est indispensable. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été critiquée sur sa gestion de la crise, mais il ne faut pas oublier qu’elle est ni plus ni moins que le reflet des États qui la constituent. Or l’effort doit être collectif et tout aussi décloisonné que les virus eux-mêmes. Cela vaut sur la scène internationale comme au sein de chaque nation.

Chloroquine, tests, vaccins : les polémiques ont été vives…
La science ne réagit pas bien au phénomène d’accélération d’une société qui veut tout, tout de suite, et communique à l’infini. Elle ne peut apporter les réponses à des questions complexes en quelques secondes, jours ou semaines. Cette impossibilité ouvre la voie à des publications erronées, des conclusions frauduleuses, des personnalités qui, en se plaçant sur le devant de la scène, nuisent à une image sereine de la science. Or l’urgence est au contraire d’établir le lien de confiance dont nous avons plus que jamais besoin.

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