Texte: 

  • Elodie Lavigne

Photos: 

  • Jérémie Mercier

Comprendre l’anxiété pour mieux la gérer

Si l’anxiété est une émotion commune, elle peut parfois devenir si intense et envahissante qu’elle nous fait perdre pied. Phobies, attaques de panique, troubles obsessionnels compulsifs, etc. Dans la population, 5 à 10 % des personnes sont la proie de troubles anxieux. Les HUG disposent d’un programme de soins unique pour aider celles et ceux qui veulent apprivoiser leurs angoisses afin de mieux vivre avec.

« Je suis celle qu’on ne voit pas, je suis celle qu’on n’entend pas, je suis cachée au bord des larmes, je suis la reine des drames » sont les mots de l’artiste Pomme pour décrire l’anxiété dans sa chanson éponyme. S’inquiéter à l’égard d’une situation nouvelle, nous le faisons toutes et tous. La peur est une réaction instinctive qui nous protège, nous permet d’anticiper et de faire face aux dangers. Elle prend tout son sens dans un contexte de stress ponctuel ou de menace réelle en nous aidant à mieux les affronter. Mais parfois, elle n’a rien à voir avec la réalité, devient autonome et prend des proportions démesurées. L’anxiété, cette émotion pourtant si propre à l’être humain, devient alors pathologique. La ligne rouge est franchie lorsque la menace semble être partout, que les pensées anxieuses s’emballent sans que la raison ne parvienne à les relativiser. Un reproche au travail et nous craignons de perdre notre emploi. Des maux de tête banals et nous nous voyons déjà avec une maladie grave. Pour d’autres, c’est l’idée de monter dans un ascenseur ou de se retrouver dans la foule qui déclenche des sueurs froides…

L’anxiété maladive s’appuie sur des croyances catastrophistes : « C’est une tendance à imaginer le pire, à surestimer le danger et à sous-estimer ses capacités à faire face », explique le Pr Guido Bondolfi, médecin-chef du Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise et du programme troubles anxieux.

Au niveau biologique, l’anxiété s’explique par un dérèglement du système d’alarme dans le cerveau, en particulier de l’amygdale, siège de la peur : « À l’image du système immunitaire de l’allergique qui s’emballe pour un rien ou presque (pollen, poils de chat…), le système de la peur des personnes anxieuses est déréglé et en fait clairement trop. Leur seuil de tolérance est bas en raison d’une amygdale hypersensible qui réagit (ou anticipe) de manière exagérée à un objet, une situation, un animal », décrit le psychiatre dans un ouvrage* consacré à ce sujet.

*J’ai envie de comprendre… L’anxiété et les troubles anxieux, Suzy Soumaille, Guido Bondolfi, préface de Christophe André, Éd. Planète Santé, 2015.)

Différents visages

L’anxiété est reconnue comme un véritable trouble, répertorié dans les classifications diagnostiques internationales. « Les troubles anxieux se caractérisent par une triade de symptômes physiques, psychiques et comportementaux », relève le Dr Andrea Cremasco, chef de clinique au sein du programme troubles anxieux. Sur le plan physique, l’anxiété peut se manifester par une boule au ventre, des maux de tête à répétition, des lombalgies chroniques, etc. Elle peut prendre plusieurs visages et donner ainsi lieu à différents diagnostics (lire plus loin). Diffuse, sourde et permanente dans le trouble anxieux généralisé (TAG), elle est centrée sur un objet précis dans les phobies ou les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) (peur des microbes, par exemple). Mais elle peut également être soudaine et brutale, comme dans l’attaque de panique : « Une situation anxiogène déclenche un cortège de réactions (palpitations, tachycardie, pic de tension artérielle, vertiges, vision floue, fourmillements, crampes, troubles digestifs), ressenties de façon si intense que la personne se rend aux urgences. Il y a alors une prise de conscience de l’origine psychique de ces symptômes », poursuit le psychiatre.

Un cercle vicieux

Sur le plan psychique, l’anxiété, surtout lorsqu’elle est généralisée, est « une véritable intolérance à l’incertitude », décrit le Pr Bondolfi. Elle s’exprime par une hypervigilance de tous les instants et conduit à des comportements de sécurité et d’évitement. Par crainte de ne pas être à la hauteur ou d’être anéanties par leur peur, les personnes souffrant d’anxiété recourent à toutes sortes de stratégies : déléguer une présentation en public, renoncer à sortir de chez elles si elles ne sont pas accompagnées ou mettre au point des rituels pour se rassurer, par exemple. Même si elles en ont conscience, il leur est difficile de s’extirper de ce fonctionnement : « Elles savent qu’elles exagèrent, mais elles ne peuvent pas faire autrement. Elles deviennent alors prisonnières de leur anxiété », commente le Pr Bondolfi. Si, à court terme, les stratégies d’évitement calment les angoisses, à long terme, elles restreignent la liberté. Quant aux ruminations anxieuses, qui sont une vaine tentative de garder le contrôle sur les événements, elles sont, à la longue, source d’épuisement. Peu à peu, c’est toute une vie qui est conditionnée par le trouble.
L’entourage, bien souvent, n’est pas épargné : « Lorsqu’une personne empêche toute sa famille de partir en vacances par peur de prendre l’avion ou qu’elle embarque ses proches dans des systèmes de rituels et de vérifications, elle prend les autres en otage et devient malgré elle un tyran », alerte le Pr Bondolfi. Mais surtout, ajoute Paolo Cordera, psychologue au sein du programme des HUG : « En évitant les situations que nous redoutons, nous risquons de nous éloigner de nous-mêmes et de ce qui nous importe. Par exemple, les personnes en proie à une phobie sociale évitent les contacts sociaux alors qu’elles leur accordent en réalité beaucoup d’importance. »

Une expertise unique

Le programme troubles anxieux des HUG est unique en Suisse romande. Les patients et patientes y sont adressées par leur médecin ou par un ou une psychologue. Tous et toutes bénéficient d’une évaluation approfondie par le biais d’entretiens, d’échelles diagnostiques et de questionnaires spécifiques. Lorsque le diagnostic est posé, une prise en charge médicopsychiatrique est proposée : psychothérapie individuelle ou de groupe, traitement pharmacologique si nécessaire et groupes fondés sur la pleine conscience (lire plus loin). « Nous avons un réseau compétent de psychiatres et psychologues vers lequel nous adressons une partie des patients et patientes après un bilan », indique le Pr Bondolfi. La palette thérapeutique est large et les chances de s’en sortir réelles. « Les troubles anxieux se soignent efficacement aujourd’hui, mais on n’en guérit pas complètement. L’approche consiste avant tout à atténuer les symptômes et à aider à vivre avec », note le psychiatre. Il s’agit de remettre l’anxiété à sa place : « Elle peut faire partie du décor, mais ne doit pas être au centre de la vie », conclut Paolo Cordera.

Témoignage GERMAIN, 30 ans :

« Il ne faut pas hésiter à se faire aider »

« Je souffre d’une anxiété généralisée avec une agoraphobie qui s’exprime par une peur de m’éloigner de mon domicile. Cela s’est déclenché en 2015, à l’époque des attentats de Paris. Je traversais une période difficile. Un dimanche soir, j’ai eu une grosse crise d’angoisse, avec des palpitations cardiaques, une sensation de perte de contrôle et de mort imminente. Ma mère m’a emmené aux urgences psychiatriques des HUG. Depuis, il y a des hauts et des bas. En période de crise, je suis dans un contrôle permanent et me prépare constamment au pire. Je rumine beaucoup, cela ne s’arrête jamais. Mon état s’est de nouveau dégradé avec la pandémie. Au début c’était très oppressant, je n’osais plus sortir car j’avais peur de voir des gens et de tomber malade. Aujourd’hui, je vais mieux grâce au suivi du Programme troubles anxieux. L’objectif de ma thérapie avec le psychologue est de reprendre une vie normale et des décisions sans que mon anxiété dicte mes choix. Je prends également des médicaments pour atténuer les symptômes. Lorsqu’on souffre d’anxiété, on a tendance à se rabaisser, mais il ne faut pas culpabiliser et ne pas hésiter à se faire aider. »

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