Elle est l’une des maladies ayant le plus grand impact en termes de nombre d’années de vie perdues et de souffrance engendrée. Pour minimiser la portée d’une dépression et prévenir le risque – important – de rechute, une prise en charge adaptée est indispensable.
La tristesse et la perte de plaisir ne connaissent pas de frontière. La dépression, ou trouble dépressif unipolaire, est une maladie universelle, dont on saisit encore mal l’origine et la physiopathologie. Son retentissement sur l’individu, en revanche, ne fait point de mystère. La dépression engendre une profonde souffrance psychique, à laquelle s’associent souvent des maux physiques et somatiques (on parle de comorbidités), avec un risque important de suicide. Pour la société aussi, le prix à payer est immense. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que d’ici 2030, la dépression devancera les maladies cardiovasculaires en termes de coûts occasionnés, qui se chiffrent en milliards.
Une personne sur cinq souffrira un jour de dépression. «Les femmes sont deux fois plus concernées», estime le Pr Jean-Michel Aubry, chef du Département de psychiatrie. Néanmoins, les hommes pourraient être plus nombreux, mais ils consultent moins. La dépression peut frapper à tout âge, à 15 comme à 30 ou 40 ans, voire au-delà. Elle résulte le plus souvent d’une vulnérabilité individuelle, en partie génétique. Des traumatismes durant l’enfance (abus sexuels, physiques ou psychologiques, carence affective, deuils ou maladies précoces) creusent le terrain de la dépression. Le contexte de vie fera que cette vulnérabilité s’exprime, ou non.
Un événement de vie majeur ou l’existence de facteurs de stress chronique peuvent être des éléments déclencheurs. Toutefois, «on peut vivre des choses horribles sans pour autant souffrir de dépression. L’inverse étant aussi vrai», nuance la Dre Hélène Richard-Lepouriel, médecin adjointe responsable de l’Unité des troubles de l’humeur. Une dépression peut ainsi survenir dans un ciel bleu, entraînant alors une grande culpabilité, et une impuissance de l’entourage. La dépression est bien plus qu’un sentiment de découragement et de tristesse passagère. Elle est une maladie dont les manuels de classification diagnostique (DSM-5 et CIM-10)* dessinent précisément les contours.
* Le DSM 5 (en anglais « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ») est le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l'Association Américaine de Psychiatrie. La CIM-10 est la classification internationale des maladies publiée par l’OMS.
Une abrasion des affects
Elle se caractérise par une tristesse indépendante des circonstances extérieures, ainsi que par une perte d’intérêt et de plaisir pour des choses qui en procuraient avant (anhédonie). Pour qu’un diagnostic de dépression soit posé, au moins cinq de ces critères doivent être réunis: perte d’énergie (asthénie), fatigue, agitation et/ou ralentissement psychomoteur, troubles de la concentration, baisse de l’estime de soi, sentiments de culpabilité et de dévalorisation, perte de l’appétit, de poids, troubles du sommeil, pensées de mort et idées suicidaires. «Des symptômes qui doivent être présents durant au moins deux semaines, avec une intensité telle qu’ils impactent le quotidien», explique la Dre Richard-Lepouriel.
Qu’elle soit légère, modérée ou sévère, la dépression se vit comme une épreuve paralysante, où le moindre geste demande un effort : «Il y a une forme de rigidité de la pensée, des émotions et du corps. L’humeur ne connaît pas de vagues. On est comme figés, gelés», décrit la psychiatre. Le rapport au temps n’est plus le même. «On n’a plus de refuge mental. Le présent est comme un temps suspendu, une sorte de gouffre. Le passé n’est plus que mauvais souvenirs et regrets, tandis que le futur ne permet aucune projection.»
Dans les cas les plus sévères, la dépression provoque une forme d’anesthésie émotionnelle, une indifférence au monde et un repli sur soi. «Tout est souffrance», résume le Pr Aubry. Cette difficulté à être présent et connecté au réel génère souvent beaucoup de culpabilité, avec, à la longue, un risque de suicide… trente fois plus élevé que dans la population générale. «Selon certaines études, 10 à 15 % des personnes souffrant de dépression modérée à sévère meurent par suicide», déplore la Dre Richard-Lepouriel.
« La rechute amène la rechute »
Pour couper court à la maladie et éviter le plus possible le passage à l’acte, il est primordial de demander de l’aide rapidement lorsqu’on va mal. «La phase d’installation de la dépression peut durer quelques semaines à quelques mois, relève néanmoins le Pr Aubry. Or, ce qu’on veut, c’est pouvoir mettre en place un traitement adéquat assez tôt pour minimiser le risque de récidive.» Celui-ci est particulièrement important avec la dépression. Dans 10 à 20 % des cas, elle entraîne une vulnérabilité chronique, elle-même susceptible d’entraîner un nouvel épisode : «On est moins à l’aise dans les relations sociales, on prend moins de plaisir dans la vie et on est plus fatigués», décrit le Pr Aubry. Selon lui, il faut viser une rémission complète lors du premier épisode. Car à ce stade, le risque d’en faire un nouveau est de 50 %, de 70 % après un deuxième et de 90 % après un troisième.
Quelles armes a-t-on à disposition aujourd’hui pour contrer la dépression? Dans les formes légères, une psychothérapie seule avec un travail sur les fragilités personnelles et de la psychoéducation (compréhension de la maladie, mise en place de stratégies efficaces) est indiquée. Dans les formes modérées, on préconise un traitement antidépresseur accompagné a minima d’une thérapie de soutien avec le médecin qui prescrit le traitement et/ou une psychothérapie, tandis qu’on associe forcément les deux dans les formes sévères. «Les médicaments permettent de remonter l’humeur à condition d’être pris plusieurs mois après la disparition des symptômes», souligne la Dre Richard-Lepouriel. Selon de récentes études, la luminothérapie pourrait potentialiser leurs effets. Heureusement, contre les dépressions résistantes, de nouvelles perspectives thérapeutiques se dessinent (lire Nouveautés du côté des traitements). En matière de prévention, en revanche, «on n’est pas encore très bons», reconnaît la psychiatre. La recherche s’attelle néanmoins à mieux comprendre les facteurs de résilience biologiques et psychologiques. Pour l’heure, on sait que préserver sa santé psychique passe par une bonne hygiène de vie (activité physique, sommeil et rythme de vie réguliers, relations sociales de qualité, bonne gestion du stress).
Témoignage
Judith, 58 ans : « J’ai vécu ma dépression comme une grande souffrance physique »
«J’avais mal au cœur, au ventre, comme si j’avais reçu un coup de poing. J’étais complètement K.O. J’avais un sentiment d’échec, de confusion, de panique. J’avais tout le temps envie de pleurer, je n’arrivais plus à fonctionner. Aucun événement particulier ne m’a précipitée dans la dépression. C’est un état insupportable. Je passais des jours devant la télévision, sans voir personne, à vouloir rester en boule dans mon lit. J’ai suivi une psychothérapie, pris des antidépresseurs, puis on m’a proposé de faire de la méditation de pleine conscience. Au début, je n’y croyais pas du tout. Mais j’étais rassurée de pouvoir essayer cette technique aux HUG. La mindfulness a assurément été une pierre sur le chemin de la guérison. Le fait qu’on me prenne par la main m’a beaucoup aidée. Durant plusieurs semaines, on doit aller à ces rendez-vous, on y retrouve des gens, on a des exercices à faire chez soi. On doit faire face au chaos. J’ai appris à dédramatiser, à cesser de culpabiliser, à essayer dans la bienveillance, même si j’avais l’impression de ne pas y arriver.»
Une ou plusieurs dépressions ?
La dépression masculine: sous-diagnostiquée, la forme masculine de la dépression peut, mais pas toujours, s’exprimer différemment, avec abus de substances, perte de contrôle, agressivité et hyperactivité par exemple.
La dépression saisonnière: elle est liée à la baisse de la luminosité du début de l’automne. En plus des symptômes typiques de la dépression, elle se manifeste par une appétence pour les aliments sucrés et une grande fatigue. 1 à 2 % de la population serait touchée par ce mal qui se soigne très bien grâce à la luminothérapie.
La dépression périnatale: elle survient durant la grossesse ou dans l’année qui suit la naissance de l’enfant, période de grands bouleversements. 1 femme sur 8 et presque autant d’hommes sont touchés. Il est important de la reconnaître et de la traiter pour éviter les répercussions sur la mère et le bébé. Plus d’informations sur : Dépression périnatale
Dossier Dépression
Texte:
- Elodie Lavigne
Photos:
- Bogsch & Bacco