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  • traduit et adapté par les HUG (*)

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  • Louis Brisset

Développer des lignes directrices pour lutter contre le Covid-19

Durant la pandémie, la collaboration à l’échelle nationale, internationale, mais aussi de manière interdisciplinaire, s’est révélée cruciale. La consultation mondiale, dirigée par l’Organisation mondiale de la santé, a permis aux experts des HUG de participer directement à un réseau international de cliniciens.

En février 2020, lorsqu’un nouveau coronavirus a mené des patients aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le plus grand hôpital universitaire de Suisse, certains d’entre eux étaient perdus et très désorientés, ont remarqué les médecins.

«Ils présentaient des symptômes neurologiques aigus, nous avons donc consulté notre neurologue interne, dont la première réaction a été, à juste titre, ‘mais c’est une maladie respiratoire, non une affection neurologique’ – grâce à une étroite collaboration et des discussions ouvertes, la présentation neurologique est devenue peu à peu évidente, juste quelques semaines plus tard» affirme le Dr Thomas Agoritsas, médecin adjoint agrégé au Service de médecine interne générale. Expert en méthodologie de la recherche en santé, il est également membre d’une équipe centrale sur les méthodes à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) chargée de donner des conseils sur les lignes directrices. Après cela, les choses ont rapidement évolué. «Nous sommes passés en mode ‘rassemblons les données, publions les données, fournissons quelques solutions pour gérer le problème’», poursuit-il. 

Elaborer ensemble des recommandations

Ce n’est que l’un des nombreux exemples que lui et sa collègue, la Dre Frédérique Jacquerioz, cheffe de clinique au Service de médecine de premier recours, spécialiste de la médecine tropicale et experte en santé publique aux HUG, peuvent citer pour expliquer à quel point la collaboration était cruciale, à l’échelle nationale, internationale, mais aussi de manière interdisciplinaire. Cela a permis aux personnes impliquées dans l’identification, la prévention et le traitement du nouveau virus d’échanger et d’élaborer ensemble rapidement des connaissances et des conseils pour ce qui est vite devenu une pandémie qui allait changer le monde.

Tous deux ont fait partie d’un groupe d’experts des HUG chargé d’élaborer des lignes directrices. Ce panel, qui regroupait des spécialistes de tous les départements, divisions et laboratoires clés, s’est réuni deux fois par semaine au plus fort de la crise, puis régulièrement par la suite. Il a examiné les preuves à chaque étape et émis des recommandations adaptées, localement, sur la manière d’y répondre. 1084 documents allaient être publiés au cours des semaines et mois suivants, actualisant ainsi en continu les recommandations sur la base des nouvelles connaissances.

Ce processus local complétait et alimentait celui qui se déroulait au niveau international, convoqué par l’OMS, en vue de fournir des recommandations fondées sur les meilleures données et recherches disponibles, qui définiraient la riposte au Covid-19 à travers le monde. La consultation mondiale, dirigée par l’OMS, a permis aux experts des HUG de participer directement à un réseau international de cliniciens partageant leurs expériences, leurs connaissances et leurs observations.

«À travers notre réseau clinique, nous travaillons en collaboration internationale avec des experts et instituts professionnels du monde entier. Lorsque le Covid-19 est apparu, nous avons pu activer rapidement ce réseau - qui incluait de nombreuses personnes ayant été nos partenaires dans le passé, dont les médecins des HUG, qui sont des collaborateurs centraux– pour se réunir et partager des informations au sein de ce réseau, dès les premiers jours de la pandémie, puis de façon continue par la suite», explique la Dre Janet Diaz, responsable de l’équipe clinique à l’OMS. 

Anticiper face à une pandémie qui s’étend

«C’était vraiment fascinant d’avoir une consultation interne aux HUG avec ce groupe chargé d’élaborer des lignes directrices, car nous avions besoin de savoir comment apporter des réponses immédiates. En même temps, c’était très précieux d’être engagé dans un processus parallèle au niveau mondial, permettant d’échanger avec l’OMS et d’autres cliniciens du monde entier. Cela nous a donné à toutes et tous des perspectives et des idées provenant de pays dont les ressources étaient plus limitées ou qui se trouvaient à un stade différent, plus avancé, de la pandémie», déclare la Dre Jacquerioz, collaboratrice de longue date de l’OMS dans le domaine des maladies infectieuses émergentes. Dans le cadre du Covid-19, elle est responsable des centres de dépistage de l’hôpital et, plus récemment, du centre de vaccination. Elle a travaillé en Afrique sur l’épidémie d’Ebola en 2014.

L’Italie a par exemple transmis de précieux conseils dès le départ, lorsque le Covid-19 submergeait les hôpitaux du nord de la péninsule au début du mois de mars 2020, alors que de nombreux pays, dont la Suisse, commençaient juste à voir leur première vague. Une décision majeure était alors de savoir s’il fallait intuber un patient, et si oui quand, sachant qu’il s’agissait d’une procédure invasive pour aider à respirer, qui comportait des risques. «La réflexion initiale, cliniquement, était: aussitôt que possible, car la santé des patients se détériorait tellement vite qu’au premier signe d’aggravation, nous devions les intuber et les transférer aux soins intensifs», explique le Dr Agoritsas.

Mais en Italie et ailleurs dans le monde, les cliniciens qui échangeaient leurs expériences, alors qu’ils étaient «en avance» sur la pandémie, ont mis en garde leurs pairs contre cette sagesse conventionnelle – ils n’avaient pas encore les preuves disaient-ils, mais observaient que les patients ne présentaient pas de bons résultats lorsqu’ils étaient intubés trop tôt. «Nous avons réussi à trouver le ‘bon moment’ grâce au travail en réseau, en discutant avec des collègues du monde entier auxquels nous avions accès par le biais de l’OMS. Et, effectivement, par la suite, les preuves ont montré qu’il y a une sorte de moment idéal, pas trop tard, mais pas trop tôt, pour intuber un patient» se souvient-il. 

Aligner les corpus de preuves

Alors que les corpus de preuves sur le Covid-19 dans le monde augmentaient de façon exponentielle, une coopération étroite a contribué à accélérer le changement de pratique pour ce qui est du traitement des patients (comme dans l'exemple de l'intubation, ou avec l'utilisation de médicaments comme l'hydroxychloroquine et le remdesivir, ou des corticostéroïdes), de la prévention du Covid-19 (par exemple, s'il faut instituer le port du masque ou définir la durée de contagion des patients), du soutien des patients pendant le rétablissement (recherche en cours sur le Covid long) et de la manifestation des symptômes de la maladie (par exemple la perte du goût et de l'odorat).

«Changer de pratique est difficile, car cela implique d’évaluer les risques et les avantages potentiels avec une certitude toute relative. Comme les preuves s’accumulaient, nous avons dû adapter des habitudes cliniques que nous aurions pu avoir grâce à un nouveau niveau de compréhension. Si vous n’alignez pas tout le travail, au niveau international et local, il est difficile de mettre en œuvre ce changement là où les soins sont prodigués», note le Dr Agoritsas.

Accès équitable à des conseils 

Les directives internationales servent de référence pour toutes les personnes impliquées dans la course pour freiner la propagation du Covid-19, mais sont particulièrement utiles dans les lieux qui ont une capacité limitée à suivre le volume et les implications considérables des développements à différents stades de la connaissance, et à traduire cette information en action, tout en gérant l’urgence sur le front clinique et en transmettant les informations au réseau mondial. 

Le rythme de ces développements dans la pandémie exigeait une nouvelle approche des directives, qui faisait appel à l'expertise et à l'expérience du Dr Agoritsas ainsi que de nombreux autres experts en méthodologie. «Le plus grand défi était de savoir comment transformer rapidement la génération de preuves en une directive transparente et fiable. À cet égard, un autre groupe des HUG, avec une expertise méthodologique, dirigé par le Dr Thomas Agoritsas, avait de bonnes expériences antérieures dans la rédaction de lignes directrices transparentes et fiables; nous avons donc collaboré avec son groupe et des experts méthodologiques d'autres parties du monde, qui nous ont aidés à développer nos 'lignes directrices évolutives’», explique la Dre Diaz. 

«Au cours de ce processus, nous, à l'OMS ainsi que les partenaires des HUG, avons appris à utiliser ces compétences à une échelle mondiale pour élaborer des lignes directrices qui devaient être utilisées dans le monde entier, avec un impact global. De cette façon, les HUG ont pris en compte des problèmes apparaissant ailleurs qui pourraient ou non être repris dans une directive nationale ou locale», poursuit-elle. «C'est un processus mutuellement bénéfique. Tout le monde y gagne et nous servons mieux les populations.»

«L'OMS a un rôle central à jouer pour garantir que l'information soit largement diffusée et que différents contextes soient pris en compte. Pour moi, il était important de ne pas se concentrer uniquement sur le monde industrialisé ; lors des appels réguliers de l'OMS, nous avons beaucoup appris du Brésil, de l'Inde et d'autres lieux en Asie», explique la Dre Jacquerioz. 

Cette dernière est engagée au Centre des maladies virales émergentes de Genève, qui est en passe de devenir un centre partenaire de l'OMS, rejoignant cinq autres institutions des HUG qui travaillent déjà en étroite collaboration avec l'OMS sur des questions telles que la médecine humanitaire et la gestion des catastrophes, la vaccinologie, la télémédecine et l'e-santé; tout cela fait partie d'un long historique de collaboration entre les deux institutions et leurs experts.

Une réponse pluridisciplinaire 

Le large éventail d’expertises et de capacités des HUG était également approprié pour relever le défi du Covid-19, ce qui a incité les cliniciens, les chercheurs et les praticiens de la santé publique du monde entier à réorienter leurs priorités, dans un effort pluridisciplinaire de portée historique. «En finir avec le travail en vase clos était comme une bouffée d'oxygène», plaisante le Dr Agoritsas. Et d’ajouter: «Nous avons travaillé ensemble, spécialistes des maladies infectieuses, internistes, urgentistes, spécialistes des maladies respiratoires, médecins de famille. J'espère que nous ne retournerons pas dans un monde clos.»

«De plus, comme jamais auparavant, nous disposions à vrai dire de personnes provenant des milieux clinique, universitaire et de la santé publique, s’engageant ensemble, effectuant des recherches, structurant des données. Elles réfléchissent à la mise en œuvre de stratégies, explorent des idées sur la meilleure façon de faire face à cette pandémie et fournissent des conseils, répondant aux questions, tout en gérant les médias, tout en menant un travail clinique et en prenant soin des patients. C'est la force des hôpitaux universitaires comme les HUG de permettre ce niveau et cet éventail de compétences ainsi qu’une synergie fructueuse entre les spécialités» explique-t-il. 

Karine Martinez, adjointe de direction à la Direction des affaires extérieures, responsable pôle international et protocole, au cœur de la collaboration avec l'OMS, ajoute: «Il existe une complémentarité et une réciprocité entre les rôles de l'OMS et des HUG. En tant qu'hôpital universitaire de Genève, nous considérons qu'il est de notre devoir de collaborer avec l'OMS et de partager nos forces respectives. C'est quelque chose que nous voulons inscrire dans l'ADN de Genève en tant que capitale mondiale de la santé - des collaborations solides entre institutions locales et organisations internationales, avec une forte contribution de la Genève internationale à la santé mondiale.»

«Notre expérience du Covid-19 a été à mon avis l’exemple illustrant parfaitement la possibilité de développer des partenariats déjà existants, comme celui avec l'OMS, pour faire face à une situation de crise telle que cette pandémie», conclut le Dr Agoritsas.

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