Texte: 

  • Elodie Lavigne

Photos: 

  • Bogsch & Bacco

Face à la douleur, nous ne sommes pas égaux

Complexe par ses mécanismes et ses multiples visages, la douleur est une expérience personnelle que nous avons tous, un jour ou l’autre, vécu. En partenariat avec les patients, les spécialistes des HUG unissent leurs compétences pour mieux la prévenir, la reconnaître, la soulager et, au final, éviter qu’elle ne s’installe durablement.

Dans notre société de performance, la douleur reste un tabou, tandis que le regard sur celui qui a mal est encore trop souvent culpabilisant, voire suspicieux. Et pourtant, nous sommes nombreux à vivre l’expérience, ô combien subjective et intime, de la douleur. C’est une réalité quotidienne pour 20% de la population, qui souffre de douleurs chroniques (lire plus loin). Des chiffres qui tendent à augmenter en raison du vieillissement de la population et, de ce fait, de la progression des maladies chroniques. Mais aussi du nombre toujours plus important de cancers en rémission, dont la douleur est l’une des séquelles possibles.

Les HUG sont sensibilisés à la problématique de la douleur. Sa prévention et son soulagement sont l’une de leurs priorités. Car on connaît désormais l’importance de la limiter le plus possible afin d’éviter qu’elle ne devienne chronique. Depuis quinze ans, le Réseau douleur travaille à ce qu’elle soit mieux reconnue et prise en charge. Et l’enjeu est de taille, puisque selon l’enquête de satisfaction Picker, «plus de 60% des patients présentent des douleurs qui sont, dans 80% des cas, d’une intensité moyenne à sévère», illustre le Pr Christophe Luthy, responsable du Réseau douleur.

Qu’importe la raison, la douleur ressentie n’est aujourd’hui plus remise en question. «Au contraire, elle est considérée comme le cinquième signe vital, avec le pouls, la température, la tension artérielle et la respiration», explique le spécialiste. De même, la douleur induite par les soins médicaux (ponction, pansement, etc.), longtemps sous-évaluée, est d’autant mieux prise en compte qu’elle est reconnue comme un facteur de risque important de douleur chronique. Ainsi, préparer psychologiquement le patient avant un acte douloureux ou lui donner une antalgie au bon moment sont des moyens d’y remédier.

Des douleurs et des trajectoires différentes

La douleur revêt de multiples visages et est surtout le reflet de trajectoires différentes au sein de l’hôpital. Aux urgences, on accueille ceux qui souffrent de douleur aiguë : un bras cassé, une brûlure, une coupure par exemple. Dans ces situations, la douleur, qui repose sur une cause physique, est un signal d’alarme du corps pour dire que quelque chose ne va pas. A côté de cela, il y a ceux qui viennent subir une intervention chirurgicale, parfois dans l’espoir d’avoir moins mal. L’équipe d’antalgie aiguë a pour mission de prévenir et traiter la douleur aiguë postopératoire, elle-même facteur de risque de douleurs chroniques (lire plus loin). Quelle que soit la situation, les professionnels encouragent désormais les patients à exprimer leurs douleurs, si besoin à l’aide d’échelles d’évaluation spécifiques.

Qualité de vie diminuée

Bas du dos, genou, tête, nuque, épaule, bras, hanche, abdomen et main sont les régions du corps le plus souvent touchées par les douleurs chroniques (persistant au-delà de trois à six mois). Si la plupart des personnes concernées parviennent à vivre avec et à les contrôler, chez certains, elles sont résistantes. Indépendamment de leur intensité, leur localisation ou leur forme, ces douleurs rebelles ne répondent pas (ou mal) aux traitements antalgiques habituels. Et ont, de ce fait, un fort retentissement sur la qualité de vie. Il peut s’agir de douleurs résiduelles après un zona, une chimiothérapie, une opération, une amputation, mais aussi après un événement traumatique.

Comme les techniques diagnostiques actuelles ne visualisent pas ces douleurs, leur reconnaissance par le milieu médical peut parfois prendre du temps. Or, souligne la Dre Valérie Piguet, responsable du Centre multidisciplinaire pour l’évaluation et le traitement de la douleur, «elles ne sont ni fiction, ni simulation». Elles obéissent à des mécanismes complexes, poursuit la spécialiste, co-auteure d’un livre sur le sujet qui vient de paraître*: «Les douleurs chroniques et rebelles n’ont plus de rôle protecteur. Elles ne sont plus la photographie exacte d’une lésion, mais existent de façon autonome. Elles sont en effet liées à un dysfonctionnement des voies neurologiques impliquées dans la gestion de la douleur». Un peu comme si le système nerveux gardait les empreintes laissées par les douleurs et continuait à les entretenir, alors que la lésion est partiellement ou totalement guérie. Les déséquilibres provoqués dans le système nerveux central conduisent à une augmentation de la perception, si bien qu’une simple caresse peut être très désagréable.

Contexte émotionnel décisif

On ne connaît pas encore tous les mécanismes conduisant aux douleurs rebelles. Une certitude toutefois: nous ne sommes pas égaux face à la douleur. «Des phénomènes cognitifs, émotionnels et génétiques font que, chez certains patients, la douleur ne disparaît pas. Cela aboutit à des modifications dans leur système nerveux central», explique la Dre Piguet. Parmi les facteurs de risque identifiés: l’âge, le sexe (les femmes sont plus sujettes), le bagage génétique ou encore certaines chirurgies.
L’état émotionnel et les circonstances de survenue de la douleur initiale, mais aussi sa prise en charge, semblent eux aussi décisifs. Une maladie ou un accident banal peuvent alors, dans un contexte psychique fragile et malgré un traitement adéquat, conduire à des douleurs persistantes. «Les émotions, en particulier l’anxiété et la dépression, potentialisent la douleur. Les conséquences sur la vie personnelle, sociale et professionnelle, peuvent être colossales», explique la Dre Christine Cedraschi, psychologue au Centre multidisciplinaire de la douleur. La douleur devient alors une véritable obsession, au point d’envahir tous les aspects de la vie et d’occuper toutes les pensées, ce qui engendre souvent incompréhension et sentiment d’impuissance chez les proches. «Elle peut conduire à l’isolement, à la dépression, à un sentiment de culpabilité, lorsque la personne ne parvient plus à investir sa vie comme avant», poursuit la psychologue.

Une prise en charge personnalisée

Dans ces situations, une prise en charge globale et personnalisée est indiquée. Le Centre multidisciplinaire de la douleur offre aux patients, référés par leur médecin traitant ou leur chirurgien, une approche multimodale grâce aux compétences de nombreux spécialistes**. «Le besoin numéro un de ces personnes est d’être entendues, crues et reconnues dans ce qu’elles vivent. Il est important ensuite de leur expliquer les mécanismes propres des douleurs rebelles», déclare la Dre Piguet.

Si nécessaire, le diagnostic peut être vérifié, la pharmacologie adaptée ou d’autres approches interventionnelles proposées. En plus de l’approche physique, un soutien psychologique est suggéré à ceux qui le souhaitent. En individuel ou dans des groupes de thérapie cognitivocomportementale (TCC), il s’agit, pour les patients, de remobiliser leurs ressources personnelles. «Nous les aidons à créer les conditions nécessaires pour mettre en place des gestes ou activités (jardiner, conduire, porter des chaussures à talon, etc.) qui font sens pour eux dans leur quotidien», poursuit la Dre Cedraschi. Dans cette stratégie des petits pas, l’implication personnelle du patient est centrale pour retrouver une vie plus confortable et reléguer la douleur au deuxième plan.

*J’ai envie de comprendre… Les douleurs chroniques et rebelles, Suzy Soumaille et Valérie Piguet, Ed. Planète Santé
** Médecins anesthésistes, internistes, chirurgiens, neurologues, psychiatres, rhumatologues, spécialistes en médecine physique et de rééducation, pharmacologues, radiologues, et aussi psychologues, physiothérapeutes, ergothérapeutes, infirmiers-ères, psychomotriciens-nes.

Pas une, mais des douleurs

La douleur est un phénomène complexe pouvant résulter de différents mécanismes, mieux compris aujourd’hui.

La douleur nociceptive

Très fréquente, elle est en cause dans la majorité des douleurs aiguës d’origine traumatique, infectieuse, inflammatoire ou dégénérative.

La douleur neuropathique

Elle est consécutive à une lésion des nerfs ou à une maladie du système nerveux (douleurs fantômes après amputation, diabète, sciatique, sclérose en plaques, zona, par exemple). Elle peut apparaître en l’absence de toute lésion.

La douleur mixte

A la fois nociceptive et neuropathique, elle est fréquente dans le mal de dos irradiant la jambe ou dans les douleurs cancéreuses.

La douleur liée à une sensibilisation centrale

Elle est liée à un dysfonctionnement et à une sensibilisation excessive du système nerveux central qui contrôle la douleur. On ne sait pas ce qui cause la douleur, mais on a mal. Elle est la plus complexe et la plus difficile à soulager

Témoignage #1

«J’ai envie de vivre»
SANDRA, 57 ans

«En 2014, on m’a diagnostiqué un cancer inflammatoire du sein très agressif. J’ai donc immédiatement subi des chimiothérapies, puis une mastectomie de mon sein gauche. Rapidement après l’opération, j’ai eu des douleurs au bras puis des lancées, comme des coups de poignard au niveau du thorax. Au départ, je ne me suis pas sentie prise au sérieux. Pourtant, ces douleurs ne sont jamais parties. Un mois plus tard, lors d’une consultation au Centre de la douleur, un médecin a enfin mis un nom sur ce que j’avais : des douleurs neuropathiques. Comme les antidouleurs classiques ne faisaient aucun effet, on m’a prescrit un antidépresseur qui a allégé la sensation de brûlure. Mais aujourd’hui encore, je ressens en permanence des sensations étranges, comme si j’étais serrée dans un corset. J’ai donc décidé de me prendre en charge et d’essayer différentes méthodes. Tout en discutant avec les médecins, j’ai fait des thalassos, de l’hypnose, de la visualisation positive, du yoga, etc. Aujourd’hui, j’arrive à moins penser à la douleur au thorax, comme si mon cerveau s’y était habitué. Il y a encore des jours vraiment difficiles, mais mon secret pour tenir, c’est de ne jamais cesser d’être active. J’ai envie de vivre et je ne me laisse pas aller.» AR

Témoignage #2

«J’ai appris à mieux accepter la douleur»
FRANÇOIS, 60 ans

«Suite à un grave accident de voiture, j’ai subi une opération de genou. J’ai malheureusement développé de nombreuses complications: les prothèses se sont infectées et j’ai été réopéré plusieurs fois. Depuis, je souffre d’une douleur en continu, comme des coups de marteau. J’ai également mal en fonction de la position de ma cheville ou de ma jambe. Parfois, c’était tellement terrible que j’ai presque eu des envies suicidaires. Heureusement, la prise en charge au Centre de la douleur a change ma vie. On m’a aidé à réguler la prise de mes médicaments et donné le nom d’un psychiatre qui pratique l’hypnose, pour oublier la douleur. Ce sont des professionnels formidables, ouverts, à l’écoute, et qui m’ont très bien conseillé. Grâce à eux, la douleur a diminué, mais j’ai aussi appris à mieux l’accepter. Ce suivi médical, le soutien de ma fille et de toute ma famille ont été des piliers pour sortir de la déprime.» AR
 

Texte: 

  • Elodie Lavigne

Photos: 

  • Bogsch & Bacco
Partager
En savoir plus

Mots clés: 

Le saviez-vous?

Le Réseau douleur des HUG, qui fête ses quinze ans d’existence, œuvre pour un meilleur dépistage et une amélioration de la prise en charge de la douleur, au sein de tous les départements médicaux.

Autres articles