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  • Elodie Lavigne

Photos: 

  • Fred Merz | lundi13

« La consommation de produits nicotinés prend l’ascenseur »

Evelyne Laszlo est la nouvelle directrice du Centre d’information et de prévention du tabagisme (CIPRET) de Genève. La tabacologue relève la complexité du marché actuel et l’urgence de mettre des limites à l’industrie du tabac et ses lobbys.

Pulsations : Quel nouveau souffle pour le CIPRET ?
Evelyne Laszlo : Nous souhaitons apporter une information éclairée en matière de prévention du tabagisme et de consommation de nicotine, former un maximum de professionnels et professionnelles-relais, renforcer la prévention par des programmes ciblés en intégrant les technologies numériques et assurer un plaidoyer robuste auprès des politiques pour des décisions antitabac plus efficaces. Le renforcement des partenariats avec les institutions du canton ainsi que l’amélioration de l’engagement communautaire nous tiennent à cœur. Tout cela est essentiel pour créer un environnement sans tabac ni nicotine.

Quels sont les défis actuels ?
La consommation de produits nicotinés en tout genre (puffs*, snus**, tabac à chauffer, etc.) prend l’ascenseur. Il est très difficile de s’y retrouver face à l’afflux de ces nouveaux dispositifs et cela rend la prévention très complexe. Mais il est crucial que nous nous adaptions à ce marché en constante évolution pour continuer à œuvrer pour un monde sans tabac, l’enjeu est de taille. Notre objectif est de nous appuyer sur les dernières connaissances scientifiques en la matière, afin d’adapter nos interventions aux genres de produits utilisés. Et pour cause, tenir un discours généralisant, du type «le tabac est mauvais pour la santé», ne suffit plus aujourd’hui : il est essentiel de tenir compte des particularités des consommateurs et consommatrices ciblées par l’industrie du tabac, qui semble malheureusement avoir toujours un temps d’avance…

*  Cigarettes électroniques jetables.
** Tabac à priser qui se glisse entre la lèvre et la gencive.

Mauvaise élève, la Suisse se classe à l’avant-dernière place de l’indice mondial d’interférence de l’industrie du tabac dans la politique, juste devant la République dominicaine…
La balle est dans le camp de nos politiques. Si les personnes élues ne modifient pas leur vision et n’accélèrent pas la cadence, le lobby de l’industrie du tabac va continuer d’en profiter et de plomber définitivement notre système socio-économique et sanitaire. Ce sont notre qualité de vie ainsi que notre système de santé qui sont en jeu. En 2017, l’ensemble des coûts directs de la santé dus au tabagisme dépasse les 3 milliards de francs, cela est beaucoup plus que ce que rapportent les taxes sur le tabac, qui sont d’un peu plus de 2 milliards !

Quelles actions sont nécessaires pour rattraper le retard de la Suisse ?
Il faut lutter contre la normalisation de tous les produits du tabac et de la nicotine, notamment à travers l’interdiction totale de la publicité, la baisse de visibilité des produits (paquet neutre), le renforcement des lois ou encore une augmentation des taxes pour décourager l’achat par les jeunes. Mais aussi une exigence de transparence des activités de lobbying des entreprises du tabac, le soutien à la recherche indépendante, des campagnes de sensibilisation renforcées, un soutien accru aux programmes d’arrêt du tabagisme et une collaboration plus étroite avec les institutions de santé comme les HUG.

Les nouveaux produits assimilés au tabac ciblant les jeunes sont en pleine expansion. En quoi est-ce inquiétant ?
Les raisons sont multiples. Le snus et les puffs sont des bombes à nicotine, avec un dangereux effet «passerelle» vers la consommation de tabac. Non recyclables, ces dernières représentent par ailleurs une catastrophe environnementale. Une étude suisse récente y a mis en évidence la présence de métaux lourds à des taux beaucoup trop élevés. Ce sont des produits également très préoccupants car très accessibles, attrayants pour les jeunes et souvent bon marché. Ils sont notamment très en vogue sur les réseaux sociaux, où il n’y a aucun moyen de contrôle. Pour avoir des chances de contrecarrer ce marketing puissant, nous devons passer par les mêmes canaux et aider les jeunes à développer leur esprit critique : leur apprendre très tôt comment identifier la publicité, analyser «ce qui cloche» en utilisant des exemples concrets et sournois trouvés sur la toile et leur expliquer pourquoi ils et elles en sont la principale cible. Mais surtout, il est impératif de renforcer la surveillance sur les produits du tabac et du vapotage selon l’application des lois en vigueur.

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