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  • André Koller et Giuseppe Costa

La médecine pour et avec les patients

En 2015, les HUG ont lancé un vaste projet stratégique pour impliquer davantage les patients et les proches dans les soins. Six ans plus tard, plusieurs centaines de non-soignants participent à des programmes dans des domaines aussi variés que les prises en charge, la recherche médicale, l’événementiel et même l’organisation de l’hôpital.

Certaines révolutions s’instaurent avec fracas. D’autres se diffusent discrètement. C’est le cas du partenariat patient*. Pourtant, il transforme en profondeur les pratiques médicales et peut-être bientôt l’organisation des soins. Comment ? En reconnaissant que le savoir issu du vécu de la maladie – qualifié d’expérientiel – est équivalent à celui des professionnels de santé. Cette reconnaissance change la posture des soignés, comme celle des soignants et de l’hôpital : patients et proches deviennent acteurs et actrices non seulement au niveau des soins, mais du système de santé en général.

Reste que les études scientifiques démontrant les bénéfices du partenariat ne sont pas encore nombreuses. «On sait qu’il génère davantage de satisfaction et moins de regrets. Globalement, il produit une meilleure qualité des soins. Mais ce n’est pas une recette de cuisine. Sa réussite dépend des situations, des professionnels et des patients qui le pratiquent», argumente le Pr Thomas Agoritsas, médecin adjoint agrégé, qui enseigne le partenariat patient à la Faculté de médecine.

Les HUG, pourtant, n’ont pas hésité. Selon la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé, le projet «Patients partenaires» est devenu un axe majeur de leur plan stratégique 2015-2020. «J’avais pris conscience du problème en 2010 lorsque je travaillais sur une étude intitulée "Main dans la main". Nous demandions aux patients de rappeler aux soignants de se désinfecter les mains. Croyez-le ou non, pas un seul, jamais, n’a osé le faire», raconte la cheffe du projet, Sylvie Touveneau.

Mais pourquoi ? Il faut en chercher les raisons dans un mode relationnel à sens unique, le modèle paternaliste hérité des 19e et 20e siècles, où le corps médical est vu comme seul détenteur du savoir. Une asymétrie historique qui structure encore l’organisation des systèmes de santé.

Années sida

Une prise de conscience a lieu dans les années 80, surtout en Amérique du Nord, avec l’épidémie du sida. Des patients regroupés en association, insatisfaits de leur implication dans les soins, revendiquent un accès facilité aux traitements et une collaboration active dans la recherche. En parallèle, dans le domaine des maladies chroniques, des médecins explorent l’éducation thérapeutique (lire L’éducation thérapeutique, pionnière du partenariat). «Sous la pression de ces divers mouvements, le modèle paternaliste a migré d’abord vers les soins centrés SUR le patient. Puis, très récemment, vers un authentique partenariat avec la reconnaissance réciproque des savoirs», rappelle Sylvie Touveneau.

«Le patient a le vécu, les professionnels possèdent les connaissances. Pour avancer, il faut mettre les deux ensemble», martèle Kabeza Kalumiya, patiente investie dans le projet «Patients partenaires». « Avant mon implication dans ce projet, j’avais peur de déranger les médecins. Puis j’ai découvert qu’au contraire, exprimer mon ressenti m’aide moi-même et guide les professionnels dans ma prise en charge.»

Décision médicale partagée

«Cette idée de découverte est importante. Nous l’observons aussi chez les professionnels. C’est en pratiquant cette démarche qu’on en découvre le potentiel», rebondit le Pr Thomas Agoritsas. Et de poursuivre: «Prenez la décision médicale. Historiquement, elle est prise par le médecin. Or, on sait que le choix thérapeutique le plus raisonnable n’est pas fondé uniquement sur le savoir scientifique. Pour être optimale, une décision doit faire sens pour le patient. Son concours est donc indispensable.»

Selon une récente enquête européenne réalisée parmi 8’000 patients, 70 à 90% des personnes interrogées aspirent à davantage d’implication dans les décisions médicales. Contre environ 50% dans les années 2000. Et plus de la moitié se dit insuffisamment informée pour pouvoir s’impliquer dans les soins. «Ce dernier point est très important. Ma collaboration avec les HUG m’a donné une nouvelle légitimité», souligne Inès Serre, proche aidante partenaire. «Avec mon médecin, les infirmières ou la direction de l’EMS où mon père a vécu, les regards changeaient dès que je me présentais comme partenaire des HUG. Cela m’a ouvert des portes. Il devenait plus facile de prendre part aux décisions médicales.»

Faire AVEC les patients

«Le partenariat, c’est la médecine AVEC et non POUR les patients. Mais accepter les idées des autres, c’est un sacré challenge», résume Sylvie Touveneau. Pour lancer le projet, elle collabore d’abord avec des professionnels déjà engagés, notamment au Service d’éducation thérapeutique, en santé mentale et en pédiatrie, et avec des patients. Puis, avec son équipe, elle met sur pied une plateforme pour la promotion du partenariat et le recrutement de patients et de proches qui souhaitent s’impliquer dans des projets institutionnels. «Nous avons également donné un cadre et des règles de fonctionnement. Et, surtout, nous proposons un accompagnement individualisé chaque fois qu’un service ou une unité souhaite établir un partenariat.»

Ce travail porte ses fruits. Le partenariat est entré dans les mœurs de l’Hôpital. En octobre 2020, la plateforme comptait quelque 600 patients et proches recrutés, 170 créations de partenariats et 950 implications de non-soignants dans divers projets institutionnels. Et pour la première fois, un patient codirige un programme du nouveau plan stratégique des HUG (lire Penser l’hôpital de demain avec les patients). A.K.

* Le partenariat concerne aussi les proches. Pour alléger le texte, ils ne sont pas systématiquement mentionnés.

Intégrer les proches aidants

Dans un projet de soins, leur implication doit être reconnue.

Comment impliquer un proche aidant lors d'une hospitalisation? Le Centre de l’innovation des HUG, avec le soutien de la Fondation privée des HUG, apporte une réponse. Elle se nomme Harmonie et sera disponible d'ici cet été. «Cette application a pour objectif de faire le lien entre les proches, les patients et les équipes médicosoignantes. C’est le miroir de Concerto, l’application pour les patients», résume Catherine Zimmermann, cheffe de projet Harmonie. Parmi les fonctionnalités, la visualisation de l'agenda de la personne hospitalisée, le partage de questions ou encore la visioconférence. Cette dernière est largement utilisée depuis la crise du Covid-19. Avec la restriction des visites, les tablettes à disposition dans les services ont permis à des patients et des patientes isolés de voir leurs proches.

À l’Hôpital Beau-Séjour, Virginie Titelein, infirmière responsable d’unité, vit au quotidien l’importance d’intégrer les proches aidants. «Ils sont une ressource essentielle pour l’équipe soignante. Ils ont besoin d'informations. Nous cherchons à les inclure dans les soins, par exemple en montrant comment faire une toilette lorsque la personne est hémiplégique ou comment lui donner à manger si elle a des troubles de la déglutition. Des acquis sécurisants pour le retour au domicile du proche», explique-t-elle.

Et Carole Sémon, qui a accompagné ses parents lors de plusieurs hospitalisations, de confirmer: «Nous avons besoin d'être pris en compte pour que le partenariat se mette en place. Il faut qu'on puisse poser des questions. Lors de la pose d’un pacemaker à ma mère, on m'a montré les réglages et donné des explications, j'ai particulièrement apprécié ce moment.» Rappelons que, depuis mars 2020, les HUG et la Direction générale de la santé ont signé une charte de la personne proche aidante. Elle reconnaît le statut de cette dernière, lui donne un cadre à son action, la soutient dans son rôle et répond à ses besoins. G.C.

La recherche médicale s’ouvre au public

Davantage de transparence et de partenariat dans ce domaine.

Pour la Dre Nadia Elia, médecin adjointe agrégée à l’Unité d’investigations anesthésiologiques, il est temps d’ouvrir la recherche au grand public: «Priorisation des sujets d’études, élaboration des protocoles, publication des résultats, protection des données… tout cela reste assez opaque pour les non-professionnels. Or, c’est financé en grande partie par des fonds publics. La transparence et le partenariat patient dans la recherche vont devenir la norme.»

Dans le cadre du projet «Patients partenaires», un groupe de travail planche sur la création d’un site d’information destiné aux professionnels et au grand public. «Nous y trouverons des conseils méthodologiques ainsi que les résultats des études menées aux HUG», explique la Dre Elia.

Meilleure adhésion

Tourane Corbière, patiente partenaire, participe à ces travaux: «D’abord, nous avons disséqué les étapes d’une recherche. Nous réfléchissons maintenant à la meilleure manière d’intégrer des patients dans chacune d’entre elles. Par le passé, j’ai collaboré avec des chercheurs du privé. J’ai constaté que les études élaborées avec des patients sont mieux présentées et l’adhésion des participants, meilleure.»

Reste que les études incluant des patients partenaires sont encore marginales aux HUG. Cette démarche ne constitue pas un critère de validation pour la Commission cantonale d’éthique de la recherche. Cela pourrait changer. «Pour obtenir un financement du Fonds national suisse de la recherche scientifique, les chercheurs doivent désormais intégrer des patients dans leur projet. Ou démontrer que ce n’est pas possible. Et la plateforme informatique, financée par la Fondation privée des HUG et disponible en 2021, contribuera elle aussi à promouvoir le partenariat dans la recherche», conclut la Dre Elia. A.K.

Pr Thomas AGORITSAS

«On sait que le partenariat génère davantage de satisfaction et moins de regrets. Globalement, il produit une meilleure qualité des soins» 
Pr Thomas AGORITSAS, médecin adjoint agrégé, enseigne le partenariat patient à la Faculté de médecine
© Louis Brisset

Sylvie TOUVENEAU

Sylvie TOUVENEAU, cheffe du projet «Patients partenaires»
© François Schaer/phovea

Kabeza KALUMIYA

«Le patient a le vécu, les professionnels possèdent les connaissances. Pour avancer, il faut mettre les deux ensemble» 
Kabeza KALUMIYA, patiente investie dans le projet «Patients partenaires»
© Nicolas Schopfer

Virginie TITELEIN

«Les proches sont une ressource essentielle pour l'équipe soignante. Nous cherchons à les inclure dans les soins» 
Virginie TITELEIN, infirmière responsable d’unité
© Nicolas Schopfer 

Carole SÉMON

«Nous avons besoin d'être pris en compte pour que le partenariat se mette en place. Il faut qu'on puisse poser des questions» 
Carole SÉMON, proche aidante
© Nicolas Schopfer

Tourane CORBIÈRES

Tourane CORBIÈRE, patiente partenaire
© Nicolas Schopfer

Nadia ELIA

Dre Nadia ELIA, médecin adjointe agrégée à l’Unité d’investigations anesthésiologiques
© Nicolas Schopfer

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  • André Koller et Giuseppe Costa
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