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L’addiction, une passion qui a mal tourné

Pathologie aux contours diffus, l’addiction est un phénomène autant social que médical. Les HUG ont mis en place un dispositif complet et complémentaire afin de prendre en charge toutes les formes de cette maladie.

Du junkie au geek, l’addiction, problème et débat de société par excellence, charrie depuis des décennies son lot de mythes et d’épouvantails. Notion aux contours diffus, elle touche quasiment 100% de la population lorsqu’on l’identifie à une simple mauvaise habitude. Elle existe avec ou en l’absence de substance (lire Le défi des addictions comportementales), avec ou sans dépendance (lire Addict ou dépendant?). Afin de couvrir toutes les manifestations de cette pathologie protéiforme, les HUG ont mis en place un dispositif étagé, multidisciplinaire, somatique et psychiatrique.

Les prises en charge se partagent, schématiquement, entre le service d’addictologie, dirigé par le Pr Daniele Zullino, médecin-chef au Département de psychiatrie, et l’unité des dépendances, pilotée par la Pre Barbara Broers, médecin adjointe au Département de médecine de premier recours.

Dispositif complémentaire

«C’est un dispositif médical complet et complémentaire. D’ailleurs, les ponts et intersections entre la médecine somatique et psychiatrique sont nombreux», soulignent le Pr Zullino et la Pre Barbara Broers. L’évaluation, le dépistage des consommations problématiques, le conseil et l’orientation des patients vers le réseau adéquat, ainsi que la formation des médecins à ces tâches constituent autant de priorités mentionnées par les deux médecins.

Une consommation excessive pourra aussi être traitée par l’unité dépendances. Une vraie addiction, en revanche, sera référée au service d’addictologie. Une «vraie» addiction? «Davantage qu’une mauvaise habitude, dont elle est proche, l’addiction est au fond une passion qui a mal tourné. C’est un comportement excessif, hyper ritualisé et automatisé», décrit le Pr Zullino.

Comportement automatique

Pour expliquer l’addiction à ses patients, le psychiatre recourt souvent à l’image de l’ornière: des passages répétés sur un terrain meuble creusent une ornière. Plus elle s’approfondit et s’élargit, plus il est difficile de l’éviter ou d’en sortir. En revanche, se laisser conduire par elle n’exige ni effort ni réflexion. Un comportement unique est ainsi renforcé au détriment de tous les autres. A tel point que même s’il entraîne des conséquences négatives sur la santé ou l’équilibre mental du sujet, ce dernier le répète inlassablement et contre sa propre volonté. «Chez un gros fumeur, par exemple, seules une ou deux cigarettes par jour font l’objet d’un choix de consommation délibéré. Les autres sont fumées automatiquement, sans avoir été précédées par une décision consciente», illustre le psychiatre.

La nicotine, comme les autres substances addictives – telles que l’alcool, l’héroïne, la cocaïne, etc. – activent directement, dans le cerveau, les mécanismes de renforcement des comportements. C’est là tout le problème. Par une action pharmacologique, elles détournent un système qui, dans des conditions normales, optimise les conduites bénéfiques pour l’individu et l’espèce humaine comme l’alimentation ou la reproduction. On constate cependant que les individus ne sont pas égaux face à l’addiction. «Ces différences s’expliquent par des facteurs génétiques et environnementaux. Les premiers induisent une plus ou moins grande vulnérabilité. Les seconds, par un accès facilité aux substances, un contexte social permissif ou prohibitif – ce dernier étant d’ailleurs souvent plus incitatif – offrent un terrain plus ou moins favorable à une consommation problématique», précise le psychiatre.

Sortir de l’addiction

A l’unité des dépendances, deux patients sur trois consultent pour un problème de tabac ou d’alcool (lire La pente de la dépendance). Les benzodiazépines arrivent en troisième position, suivies des opiacés (héroïne, morphine, méthadone, etc.) et du cannabis. «Le traitement de l’addiction, au sens large, dépasse le cadre purement médical. Les déterminants politiques – notamment l’arsenal législatif – et culturels y jouent un rôle crucial», souligne la Pre Barbara Broers.

La responsable de l’unité dépendances et le chef du service d’addictologie s’accordent pour dire que les objectifs du traitement ne sont pas nécessairement l’abstinence. «Réduire la consommation ou baisser la fréquence des rechutes a déjà des effets bénéfiques sur la santé de nos patients», constate la Pre Broers. «Sortir de l’addiction signifie se construire une vie nouvelle et qui en vaille la peine. Or c’est le patient luimême qui doit définir ce qu’est, dans sa conception, une bonne vie (lire Sortir de l’ornière)», appuie le Pr Zullino.

Séance de travail à la Consultation ambulatoire d’addictologie psychiatrique du Grand-Pré. La baie vitrée de la salle de réunion traduit la volonté de transparence et d’ouverture sur la cité.

Addict ou dépendant ?

Dans le langage courant, l’addiction et la dépendance sont des synonymes. Pour les professionnels de santé, ces concepts recouvrent deux réalités différentes. L’addiction désigne un type de comportement. Elle est analysée et décrite en termes psychologiques. La dépendance, en revanche, se caractérise par des effets physiologiques: les symptômes de sevrage (transpiration, vertiges, irritabilité, etc.) et une tolérance grandissante à l’égard d’un produit.

Ces phénomènes, d’ordre somatique, sont liés à ce que les spécialistes nomment l’homéostasie. Soit, la capacité d’un système – biologique ou non – à conserver son équilibre en dépit de contraintes extérieures. Ainsi, lorsqu’une substance vient perturber le fonctionnement normal de notre organisme celui-ci active des mécanismes visant à rééquilibrer l’ensemble. Cela entraîne deux conséquences. D’abord, une plus grande quantité de substance est nécessaire pour produire le même effet. Ensuite, lorsqu’elle vient à manquer, les mécanismes de compensation ne sont plus contrebalancés et déséquilibrent euxmêmes le système. « La période de sevrage correspond au délai nécessaire à l’organisme pour désactiver ces mécanismes : de quatre jours pour l’alcool à plusieurs mois pour les benzodiazépines », précise le Pr Daniele Zullino, médecin-chef du service d’addictologie.

les addictions en Suisse

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