Texte: 

  • Elodie Lavigne

Photos: 

  • Guillaume Perret

Les défis de la médecine de l'âgé

Une hospitalisation n’est pas anodine, surtout pour une personne âgée fragile. Grâce à une prise en charge globale et interdisciplinaire, il est possible d’en minimiser l’impact et d’en tirer avantage. Comment ? En veillant à la cohérence de la trajectoire de soin et en permettant à la personne de regagner son domicile dès qu’elle est prête. Enfin, en lui offrant, si nécessaire, une phase de réadaptation sur mesure.

À mesure que nous avançons dans la vie, nous acquérons de l’expérience, nous nous créons des souvenirs, mais nous rencontrons aussi, presque inévitablement, des problèmes de santé. Avec l’âge, les douleurs, plus fréquentes, peuvent décourager face à l’effort. Nous sortons moins, marchons moins et nous perdons de la condition physique (déconditionnement). Il n’est pas rare de perdre l’appétit. Quelques fois, c’est la mémoire qui joue des tours ou la maladie qui s’immisce dans le quotidien, diminuant la qualité de vie. Les visites chez le médecin se multiplient tandis que les boîtes de médicaments s’accumulent dans l’armoire de la cuisine.

Le tableau n’est pas toujours aussi sombre. Mais c’est un fait : « La personne âgée a plus de maladies chroniques, parfois plusieurs en même temps, et connaît davantage de fragilités qu’une personne jeune », décrit le Pr Christophe Graf, chef du Département de réadaptation et gériatrie des HUG. L’accumulation de déficits liés à l’âge a un nom : le syndrome gériatrique. Il concerne aussi bien la mobilité, l’état nutritionnel, la cognition (mémoire, langage, raisonnement) que l’autonomie dans la vie quotidienne. Cela peut se manifester par des troubles de la marche (perte d’équilibre, chute), une baisse de l’acuité visuelle ou auditive, des troubles cognitifs, urinaires (incontinence, infections) et leurs conséquences fonctionnelles et psychiques (anxiété, dépression). La personne âgée est également plus vulnérable aux infections et s’en défend moins bien.

Ainsi, un accident de santé banal chez un adulte peut avoir des conséquences plus importantes chez la personne âgée. Une chute, un épisode infectieux qui se prolonge, des effets secondaires liés à la prise de médicaments, un état de déshydratation ou une maladie chronique qui s’aggrave, etc., peuvent conduire à une consultation aux urgences, voire à une hospitalisation. Or, en particulier chez les plus de 75 ans, une hospitalisation est un facteur de fragilisation supplémentaire. Le Pr Graf ne s’en cache pas : « L’hôpital représente un potentiel de nocivité en termes de complications et de risque d’infections pour ces patients. » Et plus les épisodes aigus se multiplient, plus le risque de perte d’autonomie et de mobilité augmente. Atténuer l’impact négatif que peut avoir une hospitalisation dans ce contexte est un défi de taille : « Notre rôle consiste à soigner tout en limitant la perte fonctionnelle et en améliorant les chances de récupération. Nous devons faire en sorte que le patient puisse rentrer le plus tôt possible chez lui, mais nous devons lui en donner les moyens », ajoute le professeur.

Une prise en charge exigeante

La prise en charge médicale de la personne âgée est complexe. Pour que le séjour à l’hôpital lui soit bénéfique, les moyens déployés sont nombreux. Ils concernent en premier chef le personnel soignant. « En gériatrie, notamment aux urgences gériatriques des Trois-Chêne, les équipes sont spécialement formées pour répondre aux besoins spécifiques des personnes âgées », indique la Pre Dina Zekry, médecin-cheffe du Service de médecine interne de l’âgé. Au vu de la pluralité des atteintes et déficits, une approche globale et interdisciplinaire est indispensable.

Lorsqu’un ou une patiente souffre de plusieurs maladies chroniques et prend de multiples médicaments, il peut être difficile de faire la part des choses entre causes et conséquences. « Il s’agit de s’occuper du problème aigu ayant conduit à une consultation aux urgences, mais aussi de découvrir ce qui se cache derrière le symptôme », explique la gériatre. Prenons l’exemple, fréquent, de la chute : les médecins vont soigner l’éventuelle fracture qui en découle, mais aussi chercher à en connaître la cause et déterminer si elle est un épisode isolé ou récurrent. Derrière une pensée incohérente, une agitation et des hallucinations visuelles, il s’agit de chercher et de comprendre quel organe (vessie, poumon, etc.) dysfonctionne réellement. La survenue d’un état confusionnel, la présence de troubles cognitifs ou d’une démence sont une difficulté supplémentaire dans ce travail d’investigation. Dans bien des cas, la coopération avec les proches s’avère précieuse pour comprendre les circonstances de l’incident médical, s’informer des traitements en cours, des maladies préexistantes ou encore du niveau de soutien reçu à domicile.

Senior

Au bon endroit au bon moment

Après les urgences, selon les cas, la personne peut être dirigée dans une unité d’hospitalisation parmi lesquelles : soins aigus ou intermédiaires, réadaptation, unité avec programme spécifique (chutes et ostéoporose), gériatrie intégrée médico-psychiatrique (lors de trouble psychiatrique concomitant) ou Somadem (en cas d’affection somatique aiguë et démence avec troubles sévères du comportement). Plusieurs consultations spécialisées (cognition, incontinence urinaire, par exemple) peuvent également être sollicitées. À noter encore l’existence d’une unité de consultations et examens où de nombreux spécialistes du site de Cluse-Roseraie effectuent des consultations sur place aux Trois-Chêne.

Veiller à la cohérence de la trajectoire de soin est essentiel, souligne le Pr Graf : « Nous devons orienter le patient pour qu’il soit au bon endroit, au bon moment, pour des raisons de qualité de prise en charge mais aussi d’efficience et d’économicité des soins. » Les équipes médico-soignantes travaillent ainsi en étroite collaboration avec le réseau du ou de la patiente, c’est-à-dire les infirmiers et infirmières de liaison, les soins à domicile, le médecin traitant et les autres prestataires de santé, comme en témoigne Charline Couderc, responsable des soins au Département de réadaptation et gériatrie : « L’hôpital doit faire partie intégrante du parcours du patient dans un souci de continuité, pour qu’il n’y ait pas de décalage entre l’avant et l’après. »

Différents dispositifs, tels que Cogeria, mis en œuvre par le canton de Genève, visent justement à favoriser l’anticipation et la coordination des soins autour des personnes âgées fragiles. L’objectif est d’éviter les hospitalisations inappropriées, de limiter les passages aux urgences et de faciliter le retour à domicile. À chaque étape de la prise en charge, que ce soit dans ou en dehors de l’hôpital, la communication avec la personne malade et ses proches doit rester au centre. Sa volonté ne doit d’ailleurs pas être oubliée, même si sa fragilité est importante: « L’âge n’est pas une raison pour exclure la personne et ne pas se préoccuper de ses souhaits », conclut le Pr Graf.

85 ans

la moyenne d’âge des patients aux urgences gériatriques des Trois-Chêne. Dans 35 % des cas, une visite aux urgences se solde par un retour à domicile. Dans la majorité des cas toutefois, elle est suivie par une hospitalisation dans une unité de soins aigus.

Des urgences pour les seniors

SeniorL’Unité des urgences gériatriques des Trois-Chêne accueille les plus de 75 ans pour les urgences non vitales. L’environnement y est réfléchi et la prise en charge spécialisée. « Le lieu a été pensé et adapté pour plus de confort et d’accessibilité afin de déstabiliser le moins possible les patients », explique la Pre Dina Zekry, médecin-cheffe du Service de médecine interne de l’âgé. Un ou une infirmière réalise l'admission. Ici, pas de temps d’attente, pas de box ni de brancards, mais de vraies chambres (individuelles ou à deux) avec des lits et un espace pour les proches, qui sont inclus dans la prise en charge. Les différents examens peuvent ainsi être réalisés sans que la personne ne doive changer de lit. Les chambres sont claires, lumineuses et climatisées. Les lieux sont aménagés pour les personnes malvoyantes, malentendantes ou à mobilité réduite.

Confort et expertise

Un large plateau technique est à disposition. L’unité de radiologie présente sur le site est équipée, entre autres, d’un scanner, d’une IRM et d’un ultrason, utiles au diagnostic et à l’orientation de la personne dans la bonne unité et dans le bon niveau de soin. L’existence, sur place, d’une unité de soins intermédiaires – récemment accréditée – permet une surveillance rapprochée des patients dont l’état est instable. L’équipe infirmière de flux aide à anticiper la suite de la prise en charge. À l’issue d’une évaluation aux urgences, environ une personne sur quatre regagne son domicile et deux sur trois sont transférées dans une unité de soins aigus aux Trois-Chêne.

Parcours de soin optimisé

De l’admission à la sortie de l’hôpital, les itinéraires patients managers ont pour mission de rationaliser le séjour des patients et patientes. Et pour cause, « une hospitalisation prolongée a des conséquences multiples en termes de risques de complications, de déconditionnement physique, de nutrition, de troubles cognitifs, etc. », souligne Rachel Sauvage, itinéraire patient manager (IPM) aux Trois-Chêne. Le rôle des IPM consiste à suivre les malades dès leur admission, afin d’optimiser le plus possible leur séjour sur le plan médical, organisationnel et de gestion. Ces infirmiers et infirmières spécialisées réunissent toutes les informations médicales nécessaires à la prise en charge clinique et veillent à éviter la répétition d’examens inutiles. Si besoin, un contact est établi avec l’assistante sociale et l’équipe infirmière de liaison.

Les IPM s’occupent également de la planification du séjour jusqu’à la sortie, des éventuelles demandes de réadaptation et de la facturation des prestations médicales reçues, conformément à la réalité. Car il s'agit de rationaliser le plus possible la durée de l’hospitalisation, notamment pour le bien-être du patient ou de la patiente. Enfin, une sortie bien préparée, en adéquation avec les besoins et les souhaits de la personne et de sa famille et en collaboration avec le réseau de soins, permet de prévenir le risque de réhospitalisation.

La Pre Dina Zekry, médecin-cheffe du Service de médecine interne de l’âgé, et le Pr Christophe Graf, chef du Département de réadaptation et gériatrie des HUG.

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