Soigner le cancer grâce à des traitements ciblés et sur mesure est une nouvelle perspective rendue possible grâce aux avancées extraordinaires de l’oncologie de précision. Les HUG créent un nouveau service pour proposer aux malades qui ne répondent pas aux traitements standards une thérapie personnalisée, au moment le plus opportun, avec le moins d’effets secondaires possibles. Entre technologie et multidisciplinarité, l’oncologie de précision représente un virage inédit dans la prise en charge complexe des maladies cancéreuses.
En Suisse, un homme sur deux et une femme sur trois seront touchés par un cancer au cours de leur existence. Cette maladie est la deuxième cause de décès chez l’adulte. En plus d’être une épreuve individuelle, elle constitue aussi un problème de santé publique majeur. Pour intensifier la lutte contre le cancer et offrir à la population concernée les traitements les plus pointus et les plus prometteurs, les HUG créent un Service d’oncologie de précision : « C’est une nouvelle opportunité pour les patientes et les patients de bénéficier de thérapies personnalisées, c’est-à-dire adaptées aux particularités biologiques complexes de leur tumeur », commente le Pr Olivier Michielin, nouveau chef du Département d’oncologie et responsable de ce nouveau service. Car derrière le terme générique de « cancer » se cachent en réalité une infinité de maladies cancéreuses, causées notamment par des mutations génétiques. Le rôle de l’oncologie de précision est justement de tenir compte de cette variabilité et de l’exploiter à des fins thérapeutiques, explique Mikaël Pittet, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Genève et titulaire de la chaire en onco-immunologie de la Fondation ISREC pour la recherche contre le cancer : « Nous nous servons de la complexité de la tumeur pour appliquer le meilleur traitement aux patientes et patients. »
Des progrès technologiques extraordinaires
Grâce à d’importants efforts de recherche et à des innovations technologiques majeures – notamment les machines de séquençage à haut débit –, l’oncologie de précision est devenue une réalité. « Avec les progrès conjoints en biotechnologie, en ingénierie, en informatique et en imagerie, nous pouvons désormais extraire énormément d’informations des tumeurs, tant sur le plan cellulaire et moléculaire que génétique. De son côté, la digitalisation du système de santé nous permet aussi d’avoir accès à des bases de données de milliers de patients et patientes, dont nous pouvons suivre en détail l’histoire médicale. Enfin, à l’aide des outils d’intelligence artificielle, nous avons la capacité de comparer, de croiser et d’analyser ces données », souligne le Pr Michielin.
En exploitant les caractéristiques uniques de chaque tumeur, mais aussi des cellules environnantes, les spécialistes peuvent désormais mieux différencier les types de cancers, même s’ils touchent le même organe ou le même tissu. « Deux cancers de la peau peuvent être très différents sur le plan moléculaire. Inversement, deux cancers très éloignés (poumon et vessie par exemple) peuvent avoir des profils moléculaires très proches et donc répondre aux mêmes thérapies », précise le Pr Pittet. Le but de l’oncologie de précision est de davantage cibler et personnaliser les traitements, mais aussi de prédire leur efficacité. Car face à la multitude de médicaments et de thérapies contre le cancer, les choix thérapeutiques s’avèrent très complexes : « Un des objectifs est de pouvoir prédire quel type, quelle séquence et quelle combinaison de traitements sont les plus efficaces et les moins toxiques pour une personne donnée », relève le Pr Michielin.
Suivre l’évolution de la maladie et prévenir les résistances sont d’autres objectifs de cette médecine d’avant-garde : « À tout moment, un nouveau profilage de la tumeur peut être réalisé afin d’adapter le traitement. La recherche s’applique à développer des outils de pointe (biopsie liquide dans le sang, par exemple) pour obtenir des informations sur ce qui se passe en temps réel », indique le Pr Pittet.
L’oncologie de précision repose enfin sur la multidisciplinarité et le partage de savoirs très spécialisés. « L’analyse d’un cas nécessite un ensemble de compétences extrêmement large », souligne le Pr Michielin. Même si elle représente un tournant décisif, l’oncologie de précision ne s’oppose pas à l’oncologie médicale classique, bien au contraire. « Nous travaillons en synergie pour des décisions cliniques sur mesure », confirme le Dr Petros Tsantoulis, co-responsable du tumor board moléculaire. Si les options de soins sont de plus en plus nombreuses, elles s’ajoutent à la palette de traitements que l’on connaît, à savoir les thérapies ciblées, l’immunothérapie, la chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie : « Les traitements sont potentiellement les mêmes, mais ils sont utilisés sur des bases différentes en fonction du profil de la tumeur et non d’un cancer donné (sein, pancréas, etc.) », explique le Pr Michielin. De plus, des combinaisons innovantes ou des séquences nouvelles peuvent être proposées sur la base des analyses.
Reprendre la main sur la maladie
Aujourd’hui, l’oncologie de précision est réservée aux prises en charge les plus complexes et s’adresse essentiellement aux malades qui ne répondent pas aux traitements standards, qui ont une récidive ou dont le pronostic est défavorable. « Dans ces situations, nous nous engageons dans une approche plus efficace et prometteuse pour la personne », indique le Pr Pittet. Mais à l’avenir, tous les malades pourront profiter des connaissances d’un domaine en constante évolution. « L’oncologie de précision prépare l’oncologie de demain : les connaissances acquises au travers des situations individuelles serviront à l’avenir au plus grand nombre », déclare le Dr Tsantoulis. Cela, grâce à une recherche scientifique très dynamique, confirme le Pr Michielin : « Les malades intégreront de plus en plus des essais cliniques en oncologie de précision. Nous mettons également en place des études rétrospectives pour définir des profils de patients et patientes similaires, identifier les caractéristiques partagées et voir quels traitements ont fonctionné en regard de ces particularités. »
La médecine très personnalisée se joue au niveau moléculaire et ne concerne pour l’heure qu’une partie des malades. Or, il faut beaucoup de données pour savoir quel traitement fonctionne (ou pas) dans quelle situation, mais aussi mieux comprendre les phénomènes de résistance. Des preuves d’efficacité collectives doivent donc encore être établies pour améliorer la prise en charge. Plusieurs initiatives visent justement à mettre en commun des données médicales à des fins de recherche, sous réserve du consentement des patients et patientes : le Réseau romand d’oncologie et le Swiss Personalized Health Network (SPHN), notamment. Le Pr Michielin l’assure : « Nous vivons une nouvelle ère. Les bénéfices pour les patients et patientes pourraient significativement augmenter. Nous sommes convaincus que les années à venir seront riches en succès. »
Réunir les données pour la recherche
La mise en commun des données cliniques est indispensable dans la lutte contre le cancer. Dirigé par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), le Swiss Personalized Health Network (SPHN) est un ambitieux projet national qui se fonde sur le consentement général présenté aux patientes et patients dans les hôpitaux. Son objectif : traduire les données de santé dans un langage standardisé et les rendre accessibles, d’une part, pour la recherche scientifique et, d’autre part, pour des projets cliniques spécifiques comme le tumor board moléculaire. Le projet Swiss Personalized Oncology (SPO), dont le Pr Olivier Michielin est le leader avec le Pr Bernd Bodenmiller de Zurich, est un des projets phares soutenus par le SPHN. « Les données sont collectées, codées, standardisées puis rentrées dans des bases de données spécifiques. Lorsqu’une étude clinique s’ouvre, nous les mettons à disposition des chercheurs et chercheuses des universités et centres hospitaliers universitaires de Suisse via des canaux de transmission spécifiques et sécurisés », explique Sylvain Pradervand, bio-informaticien embarqué et responsable data au SPHN.
Il faut en effet comprendre que le nombre d’individus, au niveau d’un seul hôpital, n’est souvent pas suffisant pour obtenir des résultats significatifs pour une étude. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’on est face à des cancers rares et très particuliers comme en oncologie de précision, confirme Sylvain Pradervand : « Grâce au SPHN, nous pouvons multiplier le volume des cohortes. Car, paradoxalement, pour soigner une forme de cancer spécifique, il faut comparer les cas entre eux pour dégager les ressemblances et les différences. »
Pour trouver des sujets similaires et savoir si un traitement est efficace dans une situation donnée, il est possible, en consultant cette vaste base de données, de réaliser des études cliniques virtuelles. En effet, sur la base d’études rétrospectives contenant des informations telles que les caractéristiques biologiques des individus, leurs plans de traitement, leurs réponses aux thérapies, etc., des courbes d’évolution et de survie peuvent être établies. Les médecins ont ainsi la possibilité d’interroger les bases de données du SPHN comme aide à la décision clinique. À l’avenir, le SPHN compte inclure les hôpitaux périphériques dans son réseau et développer de nouveaux projets. Parmi eux, la création de profils moléculaires dynamiques afin d’observer en direct les interactions entre la tumeur et le système immunitaire.
450
Le nombre de cas cliniques discutés chaque année, en moyenne, au tumor board moléculaire commun aux HUG et au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
45 000
Le nombre de cancers diagnostiqués chaque année en Suisse.
1 000
francs, le coût du séquençage du génome humain, une avancée majeure sur laquelle repose en partie l’oncologie de précision (contre trois milliards de francs pour le premier séquençage il y a environ vingt ans).
1
jour, le temps pour effectuer un séquençage du génome humain aujourd’hui.
Cellules cancéreuses ovariennes (image grossie 10 000x).
Cellule cancéreuse de prostate en cours de division (image grossie 2000x).
Cellule cancéreuse d’ostéosarcome (image grossie 4000x).
Cellules de cancer du sein cultivées sur une plaque de verre (image grossie 2920x).
Cellule tueuse naturelle (NK) interagissant avec une cellule d’hépatome (HepG2), image grossie 10 000x.
Cellule de cancer du sein avec des globules rouges du sang (image grossie 6000x).
Cellule cancéreuse du foie en train de se diviser (image grossie 7600x).
Cellules de cancer du sein cultivées sur une plaque de verre (image grossie 2920x). La surface irrégulière est typique des cellules cancéreuses.
Cellule T (en orange) et cellule cancéreuse de la prostate (en violet). Les cellules T sont un composant du système immunitaire de l’organisme (image grossie 6000x).
Cellule cancéreuse colorectale (image grossie 3000x).
Lymphocytes T (petites cellules rondes) attachés à une cellule cancéreuse (image grossie 5000x).
Pr Mikaël PITTET, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Genève et titulaire de la chaire en onco-immunologie de la Fondation ISREC pour la recherche contre le cancer.
Sylvain PRADERVAND, bio-informaticien embarqué et responsable data au Swiss Personalized Health Network (SPHN).
Dossier Oncologie de précision
- L’oncologie de précision : une nouvelle ère dans la lutte contre le cancer
- À quoi ressemble votre tumeur ?
- Le tumor board moléculaire
- Trois questions au Pr Olivier Michielin
Texte:
- Elodie Lavigne
Photos:
- Steve Gschmeissner