Texte: 

  • Geneviève Ruiz

Photos: 

  • Nicolas Schopfer

« Pour moi, la nourriture représente une souffrance »

Saida Hamadi souffre d’hyperphagie boulimique depuis son adolescence. Elle a vécu son trouble en secret durant de longues années avant d’être prise en charge. Elle participe à un programme des HUG qui lui donne de l’espoir.

« Dès que mon stress augmente, je sens les crises arriver. La nourriture constitue une manière de réguler mes émotions. C’est terrible », raconte Saida Hamadi, pimpante cinquantenaire qui travaille comme aide-soignante dans un EMS genevois. Ayant grandi à Rabat, au Maroc, elle a commencé à souffrir d’hyperphagie boulimique après la puberté. « Dans une culture où un bon appétit et des rondeurs sont synonymes de santé, mon entourage ne considérait pas mon comportement comme pathologique », se souvient-elle.

Saida Hamadi revient sur son parcours marqué par des conditions familiales et de travail difficiles, par des troubles alimentaires, mais aussi par son esprit libre et une forte envie de s’en sortir. « Ma mère était dure et exigeante. Elle m’a transmis beaucoup d’anxiété en me surprotégeant. L’ennui combiné à l’angoisse a causé mes premiers accès d’hyperphagie. Je mangeais des chips, du pain et des douceurs devant la télé sans m’arrêter. Contrairement à d’autres personnes, je n’ai pas adopté de comportements compensatoires. Je suis devenue obèse et je me détestais encore plus. » Ses crises, quasiment quotidiennes, étaient vécues dans le secret et dans la honte.

De longues années au service des autres

Sa vie de jeune femme a connu un grand tournant lorsqu’elle est arrivée à Genève à 26 ans. « On m’a proposé de travailler dans une famille de diplomates comme gouvernante. Cela a été un choc : je suis passée du statut de princesse dans ma maison, à celui de bonne à tout faire chez des étrangers. » Les journées trépidantes à s’occuper des enfants et du ménage lui conviennent au final assez bien. Elles lui évitent de se confronter à elle-même. Durant plus de dix ans, elle enchaînera les emplois pour de riches familles, n’ayant pour intimité que sa chambre et très peu de temps libre. « Mais j’ai eu un bon contact avec certains de mes patrons. J’ai découvert une forme de liberté et de respect que je n’avais pas connu jusque-là », raconte Saida Hamadi.

L’« explosion » arrivera à 40 ans, alors qu’elle s’engage auprès d’une famille pour s’occuper d’une nonagénaire. « Passer de l’hyperactivité des enfants au silence d’une dame âgée m’a confrontée au vide. J’ai pris conscience que durant toutes ces années, je m’étais sacrifiée pour les autres. J’ai fait une dépression… » Elle tisse toutefois une amitié avec sa cliente qui la soutiendra pour qu’elle obtienne un contrat de travail et un permis de séjour.

Un programme qui redonne de l’espoir

Surtout, elle consulte enfin un psychologue spécialiste des addictions. « J’ai mis un mot sur mes troubles, j’ai pu revenir sur ma relation avec ma mère… » Saida Hamadi est soulagée, mais elle continue de souffrir de ses crises, plus ou moins espacées en fonction de son niveau d’angoisse. Sur les conseils de son thérapeute, elle consulte une diététicienne. Mais lorsqu’elle se retrouve face à un formulaire où elle doit détailler ce qu’elle mange, elle se bloque. « Je ne pouvais pas décrire ainsi mon alimentation. Pour moi, la nourriture représente une souffrance, la mort. »

Malgré ses difficultés, Saida Hamadi va de l’avant dans sa vie professionnelle. Elle trouve un emploi dans un EMS et entame une formation d’aide-soignante à l’âge de 48 ans. Elle vit désormais dans son propre appartement et s’adonne à la peinture abstraite, une passion longtemps mise de côté. Depuis quelques mois, elle participe à un programme des HUG baptisé Espace de soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL), grâce auquel elle bénéficie d’une prise en charge individualisée à long terme. Coachée par le Dr Alberto Nascè de l’Unité d’éducation thérapeutique du patient, elle fait notamment de l’art-thérapie et participe à des groupes de parole. « Le but consiste à modifier mes schémas de régulation des émotions liés à la nourriture. Parmi mes objectifs figurent l’exercice physique et la préparation de mes repas à la maison. Ce programme représente un soutien. Cela fait bientôt quarante ans que je vis avec l’hyperphagie. Je n’arrive toujours pas à m’accepter comme je suis, mais j’ai maintenant l’espoir d’améliorer les choses. »

Hyperphagie boulimique : moins connue que les autres troubles du comportement alimentaire, elle est caractérisée par des accès durant lesquels la personne consomme de grandes quantités de nourriture. Contrairement à la boulimie, ces crises ne sont pas associées à des comportements compensatoires tels que la prise de vomitifs. En conséquence, les personnes connaissent souvent une prise de poids. La prise en charge, fondée sur l’éducation thérapeutique, se fait sur le long terme et à plusieurs niveaux : psychiatrie, art-thérapie, médicaments et diététique.

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  • Geneviève Ruiz

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