Très fréquent, le mal de dos touche quatre personnes sur cinq au cours de leur existence. Ces douleurs entraînent de l’inconfort et souvent une limitation dans les activités quotidiennes par peur de les voir s’aggraver. Lorsqu’elles sont récurrentes et deviennent chroniques, elles pèsent lourd sur le moral et impactent la qualité de vie, mais aussi l’aptitude au travail. Alors peut-on prévenir le mal de dos et, surtout, comment le soigner lorsqu’il surgit soudainement ? Plusieurs spécialistes des HUG se penchent sur ces douleurs encore mal expliquées qui souffrent de nombreuses idées reçues.
Vous faites peut-être partie des 80 % de la population souffrant ou ayant souffert, un jour, de mal de dos. Lumbago, contractures, faux mouvement, blocage, tour de reins… La moitié des personnes concernées font avec et gèrent seules la douleur, tandis que l’autre moitié consulte un ou une médecin généraliste, un ou une chiropraticienne, un ou une ostéopathe, etc. afin de trouver explications et soulagement. Malheureusement, chez 20% des gens, le mal de dos s’installe. Ainsi, l’épisode aigu fait place à une douleur chronique (qui dure depuis plus de trois mois) qui, à la longue, péjore la qualité de vie et réduit la capacité de travail. Très répandu, le mal de dos reste pourtant mal compris et fait l’objet de nombreuses idées reçues (lire plus loin), tant dans la population que dans le milieu médical.
D’apparition soudaine ou progressive, les douleurs peuvent être ressenties au niveau de la nuque (cervicalgie), des lombaires (lombalgie) ou au milieu du dos (dorsalgie). Bien que pénibles et parfois entêtantes, ces douleurs sont néanmoins rarement l’expression d’une maladie grave : «Dans 2 à 3 % des cas seulement, elles sont dues à une fracture, une infection, une tumeur ou une inflammation dans le cadre d’une maladie rhumatismale comme la spondylarthrite», explique le Pr Stéphane Genevay, médecin adjoint au Service de rhumatologie et responsable du programme Promidos.
L’imagerie : une fausse bonne idée
Pour écarter ces éventualités, un examen d’imagerie (radiographie, scanner, imagerie à résonance magnétique) est, selon le spécialiste, encore trop souvent prescrit : «Une anamnèse (interrogatoire du ou de la patiente) et un examen clinique suffisent le plus souvent pour confirmer que nous avons affaire à une lombalgie commune», souligne le Pr Genevay. En effet, nous savons aujourd’hui que l’imagerie apporte généralement peu de réponses aux symptômes ressentis et qu’elle peut même être contreproductive, poursuit le rhumatologue : «Pour interpréter une image, le ou la radiologue se fonde sur ce que serait une colonne vertébrale parfaite. Mais dès l’adolescence, les structures du dos commencent à vieillir. C’est pourquoi nous pouvons voir très tôt des signes de dégénérescence des disques, des fissures et un début d’arthrose. Néanmoins, ceux-ci n’expliquent pas forcément la douleur.» En effet, il y a souvent très peu de différences sur le plan de l’imagerie entre un individu qui a mal au dos et un autre qui n’a aucun symptôme. En ce sens, ce type d’examen peut induire une fausse logique, celle d’un dos usé qui aurait été trop sollicité, avec le risque que la personne n’ose plus bouger par peur d’aggraver sa situation. Le dos est une structure certes complexe, mais néanmoins solide.
Bouger pour avoir moins mal
Bien que le mal de dos soit responsable du plus grand nombre de handicaps fonctionnels (autrement dit de limitations de mouvement au quotidien) dans le monde, ses facteurs déclencheurs restent méconnus. «Nous pensons que les dysfonctionnements sont liés à une sorte de désordre neuromusculaire, comme un orchestre de musique sans chef pour le diriger. Toutefois, nous ignorons si cette désorganisation est la cause ou la conséquence de la douleur», explique le rhumatologue. À ce jour, le seul facteur de risque connu pour provoquer des douleurs au dos est la sédentarité. Ainsi, pour faire du bien à son dos et améliorer ses structures musculosquelettiques (muscles, disques, os, ligaments, etc.), il faut les utiliser, en étant actif physiquement. La douleur fait parfois craindre le mouvement, et beaucoup croient encore qu’il faut rester en position couchée pour se préserver. Mais c’est tout le contraire, confirme le spécialiste : «Il faut donner à son dos du mouvement, de la diversité et du plaisir.» Si l’inconfort est trop présent, que la douleur s’enracine et empêche de mener à bien ses activités, mieux vaut consulter un ou une professionnelle de la santé. En revanche, en cas de perte de poids, de force diminuée dans les jambes et les pieds ou encore de fièvre, il faut voir rapidement un ou une médecin.
Lorsque les signes de gravité sont écartés, différentes mesures peuvent être mises en place pour remédier à la douleur. «En tant que médecins, nous devons d’abord rassurer notre patient ou patiente et surtout, c’est primordial, l’encourager à re-bouger en fonction de ses possibilités, si besoin à l’aide de l’entourage ou de techniques spécialisées», déclare le Pr Genevay. Les thérapies manuelles (physiothérapie, chiropractie, ostéopathie) peuvent soutenir ce rétablissement, mais ne sont efficaces que si la personne s’engage à nouveau physiquement. «Sans la participation active de la personne par des exercices à domicile, ces thérapies marchent très mal», commente le spécialiste. De leur côté, les massages n’apportent qu’un bien-être momentané. Tout comme la thermothérapie (application de chaud ou de froid) qu’il est possible de faire chez soi. Enfin, la prescription d’antalgiques (paracétamol, anti-inflammatoires, relaxants musculaires) peut aider, mais seulement dans 30 à 50 % des cas. Ces médicaments sont utiles avant tout pour bouger plus facilement.
Les facteurs aggravants
Dans le meilleur des cas, un mal de dos se résorbe au bout de quelques semaines. Parfois, il en va autrement. Les spécialistes connaissent bien aujourd’hui les facteurs qui conduisent à des douleurs chroniques péjorant la qualité de vie. Un épisode de mal de dos évolue en effet de façon moins favorable si les douleurs sont intenses, si elles occasionnent des changements dans les habitudes de vie (loisirs, travail), en cas de tabagisme et d’obésité. Ceci s’explique non pas par le poids pesant sur les articulations, mais en raison des cellules graisseuses qui produisent davantage de substances favorisant l’inflammation. Des difficultés psychologiques, qui peuvent se traduire par une peur du mouvement et de la douleur, de l’angoisse, de l’évitement, de la tristesse, une hypervigilance ou une tendance à dramatiser peuvent aggraver la situation. C’est le cas aussi des troubles anxieux ou de la dépression, notamment. «Un état de surcharge psychique et émotionnel participe probablement probablement au mal de dos et à sa chronicité. Voir tout en noir, focaliser sur les sensations douloureuses dans le corps – au point de ne plus ressentir les sensations agréables –, la crainte de bouger par peur d’avoir mal, font entrer dans un cercle vicieux», décrit le Pr Genevay.
Dans la prise en charge, il est dès lors primordial de détecter les facteurs de risque de chronicité et de tenir compte du contexte psychosocial et des émotions de la personne en proie à un mal de dos tenace. «Une ambiance sombre, une dépression légère, une peur du mouvement ou de la douleur doivent alerter. En tant que médecins, nous devons prendre en compte ces aspects psychologiques et, le cas échéant, intervenir sans attendre par une prise en charge plus globale et plus musclée», conclut-il.
50 %
Plus de 50 % des personnes avec un mal de dos sont adressées en chirurgie aux HUG.
95 %
des situations se résolvent pourtant de façon non chirurgicale.
Pr Stéphane GENEVAY, médecin adjoint au Service de rhumatologie et responsable du programme Promidos
Dossier prendre soin de son dos
Texte:
- Elodie Lavigne
Photos:
- iStock / Getty Images Plus / CurtoiCurto