Texte: 

  • Mélissa Chervaz

Photos: 

  • Nicolas Righetti | lundi13

« Projet crack » : amener l’hôpital dans la rue

Face à l’augmentation importante de la consommation de crack à Genève, les HUG ont mis en place une nouvelle approche : aller à la rencontre des consommateurs et consommatrices et les encourager à entrer dans les soins.

Depuis novembre 2023, les responsables du «Projet crack» de la Consultation ambulatoire d’addictologie psychiatrique (CAAP Arve), la Dre Tiphaine Robet, médecin de rue, et Juliana Santos-Cruz, infirmière spécialisée dans les soins d’urgence, quadrillent la ville à la rencontre des personnes concernées, souvent sans domicile fixe. Et ce tout au long de la journée : «Le matin, nous allons dans des lieux de distribution alimentaire, car il existe souvent un lien entre l’addiction au crack et la précarité. Entre midi et 16h, nous tenons une permanence près du Quai 9, qui est un point central du deal et de la consommation. Puis, jusqu’à 20h, il y a des temps de maraude dans les lieux connus pour ce problème», explique Juliana Santos-Cruz. «L’idée est d’amener l’hôpital dans la rue et de se défaire du modèle hospitalo-centré, qui convient peu à cette patientèle peu encline à entrer dans des soins conventionnels», ajoute la Dre Robet.

Un métier de terrain

Les journées de travail des deux spécialistes sont intenses et la composante immersive du métier indissociable. «Il faut déambuler dans la ville et traverser les situations d’urgence qui s’enchaînent, accueillir la détresse et le dénuement, soigner dans la précarité, en refaisant un pansement sur un champ stérile à même le trottoir par exemple», témoigne l’experte. Sans compter qu’un autre défi s’ajoute : «Sans abri, il est difficile d’avoir d’autres objectifs que de trouver un toit. Dès lors, entendre parler de traitements ou de soins est compliqué. L’équipe du CAAP Arve s’est donc beaucoup rapprochée des hébergements d’urgence permettant une mise à l’abri immédiate», explique Juliana Santos-Cruz.

Dre Tiphaine Robet (à gauche) et Juliana Santos-Cruz devant le Quai 9.

Dre Tiphaine Robet (à gauche) et Juliana Santos-Cruz devant le Quai 9.

De la rue à l’hôpital

Il n’existe pas encore de traitement de substitution* pour lutter contre l’addiction au crack. Le remède se trouve souvent du côté des pairs aidants et aidantes. Néanmoins, la plupart des consommateurs et consommatrices présentent également une dépendance aux opiacés, qui eux peuvent être substitués. «Cela ne répond pas directement à la problématique du crack, mais présenter ainsi une alternative à une personne en manque améliore déjà son état. C’est un premier pas important pour la mettre en confiance et lui proposer de recevoir des soins», explique la Dre Robet. Ainsi, depuis le 1er novembre 2023, 95 patients et patientes vivant dans la rue, avec ou sans assurance, ont entamé un parcours de soins aux HUG, une belle victoire pour les deux spécialistes.

* Médicament aidant au sevrage.

équipe de recherche des consommateurs

Lors des maraudes, l’équipe recherche des consommateurs et consommatrices dans tous les espaces publics.

Rencontre : les pairs aidants et aidantes

Les pairs aidants et aidantes en santé mentale sont des personnes ayant l’expérience de la maladie ou de l’addiction et parcouru un chemin de rétablissement suffisant pour pouvoir transformer leur expérience en compétences pour celles et ceux qui rencontrent les mêmes difficultés. Carla Guglielmetti et Nicolas Christin se définissent ainsi comme des accélérateurs de rétablissement capables d’activer les justes leviers pour permettre à une personne de reprendre sa vie en main. Selon la pratique de Carla, «il faut souvent plusieurs discussions pour sentir l’envie de se laisser aider chez des personnes en retrait social qui ont comme seul point d’ancrage la drogue. Leur dire d’arrêter est brutal et nécessite du temps. Mais entendre ces mots de quelqu’un qui a vécu une situation compliquée et qui n’a pas un langage médical peut aider». Et Nicolas d’évoquer un exemple concret : «J’ai suivi pendant deux ans un usager atteint de troubles psychotiques qui souhaitait devenir coach sportif. Je lui ai proposé qu’il m’entraîne trois fois par semaine dans une salle de fitness. Il a fini par valider sa formation ainsi qu’un certificat d’instructeur de boxe qui lui a permis d’intégrer un projet de boxe de rue pour les usagers et usagères de crack » «Il n’y a pas de plus beau cadeau que de voir ces personnes reprendre goût à la vie et se transformer», conclut Carla.

L’enjeu : se défaire du modèle hospitalo-centré pour s’adapter aux besoins.

L’enjeu : se défaire du modèle hospitalo-centré pour s’adapter aux besoins.

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