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  • Elodie Lavigne

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  • Fred Merz | lundi 13

Quand génétique rime avec éthique

En janvier dernier, la Pre Ariane Giacobino, médecin adjointe agrégée au Service de médecine génétique des HUG, a été nommée au Comité consultatif national d’éthique en France (CCNE), où elle est la seule personnalité étrangère à siéger. Retour sur cette distinction et sur son parcours.

«C’est la nomination dont je suis la plus fière. Lorsque j’ai reçu cette nouvelle, ma joie était telle que je ne tenais plus en place», raconte la Pre Ariane Giacobino. Chaque mois, la généticienne se rend à Paris pour réfléchir à des questions éthiques au sein d’un comité riche en personnalités issues de domaines très variés et pointus. « Cela nous oblige à simplifier notre pensée et à ouvrir notre réflexion. Il faut faire preuve d’humilité, ne pas penser qu’on sait déjà. Relever toute la complexité d’un sujet est un joli exercice. »

Dans sa spécialité, l’éthique est omniprésente : «Avant de faire un dépistage génétique, il faut se demander dans quelle situation nous mettrons la personne. Avec les couples confrontés à des choix difficiles par exemple, nous devons peindre la diversité et faire preuve de neutralité. » Cette attention à l’autre n’est pourtant pas ce qui a amené la Genevoise, française par sa mère et italienne par son père, à la génétique : « Timide, je ne me sentais pas exercer une médecine où le contact avec les patientes et patients était au premier plan. J’aimais les sciences, le technique, le concret et le maîtrisable. Je préférais la réflexion et l’infiniment petit.»

Après un an de neuropathologie, elle choisit la génétique, alors en plein essor : «C’est une discipline au carrefour de toutes les autres car il y a de l’ADN dans tous les organes. » Cette manière cartésienne d’appréhender la maladie lui convient à ses débuts, mais l’humain la rattrape. Elle glisse alors vers une activité clinique, en plus de la recherche : « Je trouvais le laboratoire un peu sec…» Dans ses consultations, elle reçoit des personnes inquiètes par rapport à leur histoire familiale. Elle y aborde le risque de handicap comme la trisomie 21, les problèmes liés à la reproduction (fausses couches, infertilité, etc.), les maladies génétiques.

Enthousiasme pour l’épigénétique

Puis l’épigénétique, l’un de ses sujets de recherche, lui a ouvert de nouvelles voies de compréhension : «Cela nous a permis de sortir d’une vision simpliste, celle d’un gène responsable d’une maladie.» Ainsi, l’environnement, que ce soient les famines, les guerres ou des traumatismes plus individuels, entre autres, agit sur le génome en modifiant l’expression des gènes. Loin d’être une science hors sol, la génétique et l’épigénétique sont donc au cœur du réel : «Nous touchons à la vie elle-même et à l’infini des possibilités. » Parfois, dans ses plus durs aspects, reconnaît la généticienne : « Nous sommes parfois des oiseaux de mauvais augure.» Cerner la malchance, en faire quelque chose pour mieux la gérer peut néanmoins être un soulagement. C’est ce qu’elle constate au travers de celles et ceux qu’elle accompagne : «Les résultats d’un test génétique peuvent mettre fin à la culpabilité et à des tentatives d’explications extravagantes. Car face à l’impensable, nous sommes toutes et tous tentés de nous raconter une histoire, comme pour nous excuser de ce qui arrive.»

Naître en bonne santé, ce miracle

À force de détricoter les histoires individuelles et familiales, cette mère de deux garçons a conscience que naître et vivre en bonne santé relève du miracle. «Il y a des accidents génétiques qui peuvent ruiner une vie. Mais les gens sont d’une résilience extraordinaire. Ce sont des leçons d’humilité.» La Pre Giacobino garde un lien avec les enfants trisomiques et leurs familles : «Nous sommes garants et garantes de leur santé et les tenons informés des avancées scientifiques sur cette maladie, emblématique de la génétique.»

Née d’un père ingénieur – comme tous les hommes de la famille – et d’une mère femme au foyer, la Pre Ariane Giacobino n’a pas suivi la trace de ses ancêtres. Mais connaître ses origines fait partie de la culture familiale : «Nous avons des mètres de papier avec des arbres généalogiques. La loyauté familiale, le sentiment d’appartenance et la logique sont très forts.» Elle se réjouit que ses fils, étudiants en droit, aient trouvé leur propre voie. De son côté, cette passionnée de génétique a surtout dû se battre contre elle-même et son besoin de maîtrise pour s’accorder du temps pour elle : «Je m’autorise le luxe de lire – La Grande Peur dans la montagne de Ramuz en ce moment –, d’aller au théâtre et de voir mes amis.»

  • 1967 Naissance à Marseille.
  • 1993 Doctorat en Médecine à l’Université de Genève.
  • 2000 et 2002 Naissance de Romain puis d’Adrien.
  • 2003 FMH en génétique médicale.
  • 2003-2006 Professeure assistante à l’Université de Pittsburgh (États-Unis).
  • 2006 Cheffe de clinique scientifique aux HUG.
  • 2018 Parution de Peut-on se libérer de ses gènes ? L’épigénétique, Éd. Stock.
  • 2022 Nommée au Comité consultatif national d’éthique français (CCNE).

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  • Elodie Lavigne

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