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Quand l’alimentation pose problème

Anorexie, boulimie, hyperphagie boulimique, les troubles du comportement alimentaire touchent de nombreux adolescents et jeunes adultes. Les HUG proposent un dispositif de soins multidisciplinaires, à la fois ambulatoires et hospitaliers, pour répondre aux besoins de ces patients et de leurs familles.

La liste est longue. Il y a bien sûr l’anorexique au corps décharné. Le boulimique qui se gave puis se fait vomir en cachette. L’hyperphagique boulimique, dont les épisodes d’orgie alimentaire ne sont pas suivis de geste compensatoire, qui est en surpoids ou obèse (lire Reprendre le contrôle).

A côté de ces trois troubles du comportement alimentaire (TCA) les plus connus, il y a les TCA dits atypiques, qui sont beaucoup plus fréquents que l’anorexie et la boulimie réunies. Dans ce cas, la vie est envahie de préoccupations concernant la nourriture, le poids et l’apparence: les périodes de restriction alternent avec les crises où tout est englouti. Sans oublier le trouble de l’alimentation sélective et évitante (restriction concernant des aliments courants), apparu l’an dernier dans l’ouvrage de référence de la psychiatrie (DSM V).

Au final, quelque 10% à 15% des adolescents et jeunes adultes, en grande majorité des filles, sont concernés par des TCA. « Ces comportements anormaux autour de l’alimentation ont une origine psychique liée à la mauvaise estime de soi, à accepter son corps tel qu’il est dans la difficile période de transition qu’est l’adolescence ou à des conflits affectifs d’ordre familial. Des troubles psychiques comme l’anxiété ou la dépression sont souvent associés », explique la Dre Françoise Narring, médecin adjointe responsable de l’unité santé jeunes.

Approche multidisciplinaire

Cette dernière, également responsable du programme de soins transversal Troubles du comportement alimentaire, qui réunit depuis 2010 un vaste réseau de professionnels pour prendre en charge ces pathologies, insiste sur un point: « Une approche multidisciplinaire est essentielle pour soigner ces pathologies qui ont des implications somatiques, psychiques et familiales. Les traitements durent très souvent plusieurs années. Nous devons construire une alliance thérapeutique avec le jeune et ses parents et être attentifs au suivi afin qu’il trouve les bonnes réponses au cours de l’évolution de sa maladie. Ce programme assure la continuité des soins et facilite la coordination entre les services.» Ainsi, lorsque l’amaigrissement devient tellement important qu’il met la vie en danger, l’hospitalisation est nécessaire (lire Sortir l'anorexique de l'impasse).

Dans tous les cas, les TCA sont des troubles complexes et multifactoriels. A l’adolescence, le corps change et focalise l’attention. S’installe alors chez ces jeunes filles la volonté de le contrôler. Il faut chercher à garder un corps d’enfant en gommant toute marque de féminité naissante (hanches, seins, fesses). Elles sont dans la maîtrise intellectuelle afin de mettre à distance les émotionset la vie affective. D’un côté, les anorexiques veulent garder le contrôle par la restriction et se sentent toutes-puissantes et triomphantes en dépit de leurs symptômes. De l’autre, les boulimiques sont dans la honte et le dégoût d’elles-mêmes, dépriment et répondent à leur problème par des crises. « Elles mangent de façon irrépressible. C’est le ‹trop plein › qui va les calmer et ensuite, elles se font vomir », relève la Dre Narring. Comme dans les problèmes de dépendance, la progression de la maladie s’inscrit dans un cercle vicieux. « On mange, on se remplit, puis on culpabilise et cela provoque de l’anxiété. Ensuite, comme on est angoissé, on se retourne sur la nourriture », ajoute-t-elle.

Fâcheuses conséquences

Ces troubles ont des répercussions graves sur la santé : amaigrissement pouvant aller jusqu’à une perte de 20 à 25% du poids initial, arrêt de la croissance, patrimoine osseux compromis, troubles cardiaques (bradycardie et hypotension), sanguins (anémie, manque de potassium) ou endocriniens (aménorrhée). « L’anorexie et la boulimie sont bien connues. Les autres troubles alimentaires sont parfois plus difficiles à dépister: des jeunes se plaignent de nausées, de maux de ventre et consultent un gastro-entérologue alors que le problème est psychique et somatique. Il y a un refus, un déni de la maladie », explique la spécialiste.

A côté des problèmes somatiques, tous les aspects psychiques allant de la dépression aux troubles de la personnalité en passant par l’anxiété sont à rechercher et diagnostiquer. Le traitement passe par des psychothérapies individuelles ou en groupe, des thérapies de groupe à médiation (lire Utiliser la créativité), des prises en charge familiales. « Nous travaillons autour de l’alimentation et de la représentation de la maladie: mettre des mots sur la souffrance, réapprendre à manger et à ressentir », résume la Dre Narring. N’oublions pas que ces maladies ont un énorme potentiel dévastateur: l’anorexie peut même conduire au décès en raison des graves complications somatiques ou suite à un suicide.

10 à 15%

des adolescents et jeunes adultes sont concernés par des troubles du comportement alimentaire

Anorexique de plus en plus jeune

« Il y a quelques années, les cas de jeunes filles anorexiques à 12 ans étaient rares. Aujourd’hui, on en voit davantage. Il y a comme un glissement vers le bas et les pics à 14 et 18 ans ne sont plus aussi marqués », constate la Dre Marianne Caflisch, médecin adjointe, responsable de la consultation de médecine pour adolescents à l’Hôpital des enfants. Lorsque ce trouble du comportement alimentaire frappe aussi jeune, il est très rarement associé à des prises de laxatifs ou à des vomissements. De plus, les parents comme les pédiatres s’en rendent généralement compte assez vite « En plus de toutes les complications liées à la sous-nutrition, il y a un grand risque de retard de croissance. Nous devons agir vite: on ne se contente pas d’une stabilisation du poids. Il faut qu’elles en prennent pour grandir », insiste la Dre Caflisch.

Pourquoi si jeune ? Il y a un mouvement sociétal d’idéalisation de l’adolescence (fillette poussée très tôt dans le rôle de petite femme) et une restructuration des familles. « Cela fragilise certaines jeunes filles, souvent brillantes et volontaires par ailleurs, qui prennent beaucoup sur elles. Quitter le monde de l’enfance avec ce qu’elles doivent gérer devient compliqué. Il y a toujours une énorme angoisse de grandir avec une grande préoccupation autour de l’aspect du corps », précise la pédiatre.

Remettre un cadre

Dans toute prise en charge, le médecin doit intégrer les parents. « En parallèle d’un suivi individuel, la prise en charge familiale est très importante. Il faut comprendre le fonctionnement qui s’est mis en place autour du comportement alimentaire et aider les parents à remettre un cadre. Qu’ils servent le repas dans l’assiette de leur enfant ou qu’ils surveillent l’activité sportive afin qu’elle ne soit pas excessive », insiste la Dre Caflisch. Sans oublier l’importance de l’école et des amis: faire en sorte que ces filles, qui ont peur de se confronter et de rencontrer l’autre, gardent un lien avec les enfants de leur âge.

Les troubles du comportement alimentaire

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