En soignant moins, on soigne parfois mieux : tel est le credo de la smarter medicine. Le Pr Arnaud Perrier, directeur médical des HUG, en est intimement convaincu. Les soins intensifs ont lancé plusieurs actions en ce sens en début d’année.
Pulsations: Qu’est-ce que la smarter medicine ?
Pr Arnaud Perrier : C’est la dénomination suisse d’un mouvement international, né aux Etats-Unis avec l’Obamacare sous l’appellation Choosing Wisely. On pourrait traduire cela par faire des choix intelligents, sages. Il part du constat que, parfois, les médecins prescrivent des interventions ou des examens diagnostiques qui ne sont pas utiles, voire même potentiellement néfastes quand ils sont invasifs. Cette démarche implique médecins et soignants : ils doivent travailler de concert pour améliorer leurs pratiques.
Dans quels domaines s’est-elle implantée ?
En Suisse, la smarter medicine a commencé dans le domaine de la médecine ambulatoire et de la médecine interne générale, avec des listes d’interventions ou d’examens qui doivent être discutés avec les patients. Le premier projet a été mis en place en 2012 aux HUG. Il concerne la prescription systématique de la radiographie du thorax avant une opération. Dans les recommandations internationales, celle-ci est jugée inutile chez les personnes en bonne santé : en quelques années, le nombre de ces radios a été divisé par deux.
Les soins intensifs adultes ont lancé une grande série de mesures au début de l’année. De quoi s’agit-il ?
Ce projet qualité très ambitieux, qui implémente dix recommandations proposées par la Société suisse de médecine intensive, vise à améliorer la prise en charge des personnes hospitalisées dans ce service. Une première mesure porte sur la prescription, en apparence banale, de l’oxygène. Beaucoup de patients fragiles en ont besoin pour des raisons cardiaques ou respiratoires et on pourrait croire que plus, c’est mieux. En réalité, on sait depuis peu de temps que non seulement c’est inutile, mais encore que trop d’oxygène augmente la mortalité intra-hospitalière. D’autres mesures visent la limitation des transfusions chez les patients stables, ou les équipements invasifs (cathéters, sondes urinaires) à ne mettre en place que s’ils sont absolument nécessaires en raison du risque d’infection. Il faut parfois renoncer à un traitement pour le bien du patient. Il est même prévu d’étendre dans un proche avenir ces mesures à tous les services de l’hôpital.
Un autre exemple d’amélioration des pratiques ?
Il y a un projet médico-soignant qui concerne la mobilisation précoce et fréquente des patients. On sait désormais que d’éviter de laisser les patients au lit diminue le taux de complications et la durée de séjour tout en améliorant leur qualité de vie ultérieure.
Comment faire changer les pratiques ?
Il se trouve que les habitudes ont la vie dure et que modifier les comportements des médecins et des soignants est toujours un défi dans un milieu aussi complexe qu’un hôpital. Il y a d’ailleurs une nouvelle discipline de la recherche, l’implementation science – la science de la mise en œuvre – qui étudie les stratégies efficaces pour faire changer les comportements. Car, clairement, les simples consignes ne suffisent pas.
Quels leviers utiliser pour que les professionnels adhèrent ?
Il y a toute une série de stratégies complémentaires. Il faut commencer par les convaincre que ne pas intervenir est réellement mieux dans certaines circonstances : il faut donc des preuves scientifiques solides pour être absolument sûrs que « ne pas faire » ne va pas nuire aux patients. Ensuite, il s’agit d’éduquer, informer, communiquer et utiliser le système de prescription informatisée pour mettre en place des alertes, demandant au médecin de justifier sa prescription. Enfin, nous devons évaluer l’impact de ces « smart » recommandations et en donner un retour aux prescripteurs et aux soignants. L’addition de toutes ces mesures permet de changer la pratique.
Comment concilier cette nouvelle approche avec l’offre technologique croissante ?
L’innovation en médecine est très importante et elle n’est pas du tout en opposition avec une démarche de type smarter medicine. Mais celle-ci nous rappelle que toute intervention innovante doit être évaluée de façon rigoureuse. Et aussi que ce sont les preuves scientifiques du bénéfice pour le patient et non les pressions du marché qui doivent amener à adopter de nouvelles techniques.
Texte:
- Giuseppe Costa
Photos:
- Nicolas Righetti | lundi13