Texte: 

  • Elisabeth Gordon

Photos: 

  • Jon Feinstein

Retour en grâce des graisses, vraiment ?

Une vaste étude nutritionnelle indique qu’un régime riche en graisse ne favorise pas les maladies cardiovasculaires. Un spécialiste des HUG met en doute ces conclusions.

Apparemment, c’est un beau pavé dans la mare qu’a jeté l’étude nutritionnelle PURE (Prospective Urban Rural Epidemiological), publiée dans la revue scientifique Lancet. Ses auteurs ont interrogé 135’000 habitants des cinq continents sur leurs habitudes alimentaires et ils les ont ensuite suivis pendant sept ans. Ils en concluent « qu’une consommation élevée d’hydrates de carbone (glucides) est liée à un risque accru de mortalité globale (toutes causes confondues) ». En revanche, et c’est le point crucial, « les graisses saturées et insaturées ne sont pas significativement associées avec une augmentation du risque d’infarctus du myocarde et de la mortalité due aux maladies cardiovasculaires ». Cela semble contredire tous les messages de santé publique nous incitant à manger moins gras.

Est-ce la fin d’un dogme ? Le Pr Jacques Philippe, médecin-chef du Service d’endocrinologie, diabétologie, hypertension et nutrition des HUG, est loin d’en être convaincu. Selon lui, cette étude souffre « d’importantes limitations ». Il s’agit « d’une seule enquête, lors de laquelle les individus ont rempli, avec plus ou moins de soin, un questionnaire à un moment déterminé. Pendant les sept ans qui ont suivi, on ne leur a pas demandé ce qu’ils mangeaient. »

Le spécialiste trouve par ailleurs « absurde » de vouloir réduire la nourriture à son contenu en protéines, en graisses saturées et insaturées et en hydrates de carbone. Les aliments contiennent en effet bien d’autres choses dont l’étude PURE ne tient pas compte. Comme les acides gras trans, issus de la transformation des acides gras insaturés par l’industrie alimentaire, que l’on trouve dans la margarine, les chips ou encore certaines pâtisseries. Or, « il n’est pas contesté qu’ils ont des effets particulièrement négatifs » sur notre cœur et nos vaisseaux. L’enquête ne dit rien non plus des micronutriments (vitamines, sels minéraux et oligoéléments), « dont on connaît mal les bienfaits et les méfaits probables sur notre santé ».

Se méfier des enquêtes nutritionnelles

En fait, les études nutritionnelles se suivent et se contredisent. Le Pr Jacques Philippe cite l’une d’elles, INTERHEART, menée dans 52 pays et publiée en 2008. Elle compare trois régimes : « oriental » (riche en tofu et soja), « occidental » (contenant des mets frits, des snacks salés, des œufs et de la viande) et « prudent » (avec beaucoup de fruits et de légumes). Et elle conclut que seul ce dernier « diminue le risque d’infarctus aigu du myocarde », constate le spécialiste des HUG. En revanche, le régime occidental (riche en graisses) l’augmente. Quant à l’oriental, il n’a que peu d’effets.

Le médecin invite donc « à se méfier de la littérature scientifique dans ce domaine », car on y trouve à boire et à manger. « Il y a encore beaucoup de choses que l’on ne connaît pas en nutrition. Si certains aliments sont bénéfiques et d’autres néfastes, ce n’est pas simplement en fonction de leur contenu en hydrates de carbone ou en acides gras. D’autres facteurs, inconnus, interviennent peut-être. »

Pour préserver notre cœur et nos artères, le médecin recommande « d’avoir un régime équilibré, de préférer les produits naturels aux aliments industriels et de manger des fruits et des légumes ». Donc de suivre son bon sens.

Et le cholestérol ?

Nul ne le conteste, l’excès de cholestérol est un facteur de risque des maladies cardiovasculaires. Or, comme le souligne le Pr Jacques Philippe, « les aliments riches en acides trans et saturés augmentent le cholestérol LDL (le "mauvais"), et les régimes riches en hydrates de carbone diminuent le "bon", le HDL, tout en accroissant le taux de triglycérides » (une autre variété de corps gras). Toutefois, ces effets « varient beaucoup d’une personne à l’autre » et tel régime qui fera monter le taux de cholestérol chez un individu n’aura que peu de conséquences chez son voisin. Une inégalité dont les causes restent mystérieuses.

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