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  • Elodie Lavigne

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Un hôpital ouvert à l’art

Depuis 25 ans, ArtHUG fait une place à l’art et à la culture au sein de l’hôpital. Une multitude d’événements, d’expositions et d’activités culturelles est organisée pour apporter chaleur et humanité dans les lieux de soins et apaiser l’expérience des personnes qui les traversent. L’art est aussi un merveilleux outil auquel les équipes soignantes recourent pour améliorer la santé et le vécu des patients et patientes.

Le dialogue entre les arts et les soins a toujours existé. Aux HUG, cette sensibilité à l’égard du monde artistique et culturel est le fruit d’une longue tradition qui a commencé par les dons d’œuvres d’art à l’institution. Considérant qu’un hôpital universitaire a des devoirs de sciences et d’humanité, la Direction générale a décidé d’officialiser la promotion de l’art et de la culture au sein de l’hôpital en créant un service dédié, qui fête cette année son 25e anniversaire. ArtHUG, c’est désormais son nom, a pour mission de maintenir une présence de la culture et de l’art à l’hôpital, explique Michèle Lechevalier, sa responsable : «Nous organisons des interventions artistiques sur tous les sites, aussi bien pour les patientes et les patients que pour les collaborateurs et collaboratrices. L’hôpital est souvent perçu comme anxiogène et nous souhaitons, par notre travail, apporter un supplément d’âme pour que les personnes se sentent mieux prises en charge.»

Beauté extérieure, Sylvain Meyer & Jan Reymond, sculpture, 2018

Beauté extérieure, Sylvain Meyer & Jan Reymond, sculpture, 2018

L’Opéra des baleines, Thomas Perrodin, fresque, 2017

Alliances, Maëlle Cornut, peinture à l’encre, 2021

Alliances, Maëlle Cornut, peinture à l’encre, 2021

Concilier les missions

ArtHUG collabore étroitement avec les équipes soignantes pour concilier au mieux sa mission avec celle des soins : «Nous nous adaptons aux lieux, aux publics, aux pathologies, aux durées de séjour et bien sûr à la condition des personnes atteintes dans leur santé», souligne-t-elle. Très éclectique, la programmation se veut accessible et inclusive. Au fil du temps, de nombreux projets ont vu le jour, que ce soient des pauses musicales, des poèmes glissés sur les plateaux-repas, la projection de films et documentaires, l’exposition d’œuvres dans les espaces communs ou l’accueil de résidences d’artistes, par exemple. Par l’intermédiaire d’une œuvre ou d’un projet artistique, des thématiques de santé peuvent être présentées sous un jour nouveau.

ArtHUG collabore avec de nombreux acteurs de la scène culturelle genevoise, parmi lesquels la Haute école de musique (HEM), la Haute école d’art et de design (HEAD), les Concerts du cœur genevois, le Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH), le Festival Animatou, le Printemps de la poésie, différents musées, etc. Une façon aussi de rapprocher l’institution et la cité.

Summer snow, Composition 015, Free Style Anemones
Summer snow, Composition 015, Free Style Anemones
Summer snow, Composition 015, Free Style Anemones

Summer snow, Composition 015, Free Style Anemones 003, Katharina Von Flotow, photographie, 2019

Plus qu’une distraction

La rencontre avec l’art et le plaisir qu’il procure contribue à modifier la perception du milieu hospitalier et les sentiments négatifs qui peuvent y être associés. Car la maladie, lorsqu’elle s’invite dans une existence et par les points de rupture qu’elle impose, génère bien souvent souffrance, appréhension et questionnements. Une attention particulière est donc donnée à la décoration et à l’animation des lieux, dans les salles d’attente, les couloirs, les halls. Musique, danse, théâtre, peinture, cinéma, poésie, installations et performances artistiques offrent des moments d’évasion.

Jedo 1 Jedo 2, Jedo 3, Wake, 2019, photographie
Jedo 1 Jedo 2, Jedo 3, Wake, 2019, photographie
Jedo 1 Jedo 2, Jedo 3, Wake, 2019, photographie

Jedo 1 Jedo 2, Jedo 3, Wake, 2019, photographie

«L’accès à l’art et à la culture est un droit fondamental de l’être humain, même en cas d’hospitalisation», rappelle Michèle Lechevalier qui, avec son service, œuvre pour une démocratisation de la culture. Ainsi, l’art n’est pas une simple distraction et encore moins « un gadget», selon les mots du Dr Rémy Barbe, responsable d’unité au Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Ses effets sur la santé et le bien-être sont prouvés par de nombreuses recherches scientifiques, comme l’indique l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un rapport complet sur le sujet. Son pouvoir thérapeutique tient à de multiples facteurs. «L’émotion esthétique suscitée par la beauté d’une œuvre d’art favorise l’activation du système de récompense, situé dans le cerveau, ainsi que la sécrétion de dopamine et de sérotonine, deux hormones impliquées dans la régulation de l’humeur», note le Dr Barbe. Au-delà de la beauté, l’art stimule notre curiosité, mais aussi notre empathie lorsque nous essayons de comprendre ce qu’un ou une artiste a voulu exprimer. Il peut amuser, dérouter ou au contraire éveiller des sentiments de familiarité.

Quelle que soit son expression, l’art fait appel à nos sens, réveille notre sensibilité et invite à la rêverie. Il permet en outre de se socialiser, un ingrédient essentiel de la santé, poursuit le pédopsychiatre : «Les visites culturelles, à raison d’une fois par mois au moins, réduisent le risque de dépression, selon les travaux de chercheurs britanniques. Le fait d’aller au musée, au cinéma ou au théâtre, de parler de l’expérience vécue et de se reconnecter avec les autres y participe fortement.»

Un outil de soin

Aux HUG, plusieurs équipes y recourent comme outil de soin, à l’instar du Dr Frédéric Sittarame, médecin associé au Service de cardiologie : «Les patients et patientes des programmes de réadaptation cardiovasculaire peuvent bénéficier de sorties au Musée d’ethnographie de Genève (MEG) et au Musée d’art et d’histoire (MAH) pour suivre des ateliers d’enseignement thérapeutique avec création à médiation artistique ou culturelle.» Mais aussi d’autres projets variés comme du théâtre musical, des séances de rythmique en partenariat avec l’Institut Jaques-Dalcroze, de l’écriture, etc. Le Dr Barbe évoque quant à lui les groupes thérapeutiques au sein de l’unité d’hospitalisation : «Nous proposons aux jeunes de partager un morceau de musique de leur choix. La musique est sans doute l’art le plus universel. Elle implique une forte résonance émotionnelle et peut transformer l’humeur.» En médecine des addictions, parce qu’il bouscule et interpelle, l’art est aussi un bon auxiliaire de soins, explique le Pr Daniele Zullino, médecin-chef du Service d’addictologie : «Il aide à sortir d’une pensée rigide, figée et ritualisée, qui est propre à l’addiction.» Pour le spécialiste, se confronter à l’art permet en outre de s’identifier et de se raconter, mais aussi d’élargir le champ des possibles dans une perspective de vie à plus long terme.

Sans titre, Gilles Porret,

Sans titre, Gilles Porret, xylogravure, linogravure et lithographie, 2001

Sans titre, Jean Baier, sérigraphie, non daté

Sans titre, Jean Baier, sérigraphie, non daté

Synthesis of neocortical neurons, EPFL, Blue Brain Project, 2008

Synthesis of neocortical neurons, EPFL, Blue Brain Project, 2008

Que ce soient des murs colorés, des miroirs de brocante ou des blouses blanches suspendues dans les couloirs de l’unité, des installations créées par des étudiants et étudiantes de la HEAD en résidence font naître le dialogue et suscitent des émotions. Car le pouvoir de l’art réside surtout dans sa capacité à créer du lien et à faire ressortir la dimension humaine des différentes personnes actrices de l’hôpital, au-delà du rôle de chacun et chacune. Son intégration dans les soins s’inscrit enfin dans une approche holistique, où la personne est envisagée dans sa globalité.

Atelier à l’Hôpital de Loëx, Ballet Junior de Genève, 2018

Atelier à l’Hôpital de Loëx, Ballet Junior de Genève, 2018

Fête de la danse, Compagnie Delrevés, 2018

Fête de la danse, Compagnie Delrevés, 2018

zoologrammes

Zoologrammes, Alexandre Zanetti, 2021 Hôpital des enfants

Voyager à travers les objets du musée Ariana

vase
Vase, Murano, 1970-1995, Gino Cedenese

«Les voyages d’une vie constituent des souvenirs marquants. À l’heure du bilan, les patients et patientes les évoquent et expriment leur regret de ne plus pouvoir voyager», raconte la Dre Lisa Hentsch, médecin adjointe au Service de médecine palliative. Pour leur offrir de nouveaux horizons, la spécialiste a eu l’idée d’amener des objets d’art à leur chevet. Depuis le mois de mars, les médiatrices culturelles du Musée Ariana, soigneusement préparées, ouvrent leur coffre aux trésors dans les différentes unités de soins palliatifs, offrant un moment d’évasion à l’écoute du récit de l’histoire d’objets précieux, datant pour certains de milliers d’années. «Plus que l’art en tant que tel, c’est ce que la personne peut, par son intermédiaire, apprendre d’elle-même qui est intéressant», explique la Dre Hentsch.

Dans le futur, d’autres démarches et projets de ce type verront le jour. Il est question notamment de visites au Musée Ariana pour les patientes et patients consultant en ambulatoire. Mais encore, les personnes hospitalisées en soins palliatifs pourront, à leur arrivée dans l’une des trois unités, choisir une œuvre parmi une sélection de la collection d’art des HUG. Le tableau sera accroché dans leur chambre et les accompagnera durant tout leur séjour. Nommé Artpal, ce projet d’arts en soins palliatifs contribue à offrir les meilleures conditions de séjour possibles. Il s’inscrit dans une approche thérapeutique tenant compte des dimensions physique, psychique et spirituelle de la personne.

terrine de salade
Terrine en forme de salade, Strasbourg, vers 1754, Manufacture de Strasbourg

«C’est une façon d’ouvrir le dialogue»

«J’ai peu à peu rassemblé des objets qui me plaisaient. C’est une façon de personnaliser mon bureau. Au fil du temps, j’ai constitué une vraie collection extra-européenne et une certaine cohérence s’est construite. Ces objets évoquent le voyage, mais beaucoup d’entre eux viennent du marché aux puces de Plainpalais. Mes patients et patientes m’en parlent, me posent des questions, c’est une façon d’ouvrir le dialogue. J’ai également un grand tableau qui représente un champ de bataille. Il effraie parfois, mais il m’inspire. Pour moi, la psychothérapie n’est pas une bataille. Souvent, celle-ci a déjà eu lieu. Il s’agit, grâce à la psychothérapie, de construire le futur.» 
Pr Daniele Zullino, médecin-chef du Service d’addictologie

2 000

Le nombre (approximatif) d’œuvres d’art de la collection des HUG, dont une grande partie est exposée dans les lieux de soins.

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