Une étude coordonnée par les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) révèle que les foyers d’infection de Covid-19 affectent plus sévèrement les quartiers socio-économiquement défavorisés de Genève. L’impact de la pandémie ne dépend donc pas uniquement de l’âge ou de l’état de santé des personnes, mais aussi de l’environnement.
Dès le début de la pandémie de Covid-19, les spécialistes se sont rendu compte qu’en plus des facteurs physiques comme l’âge, les conditions médicales préalables ou la génétique, les facteurs environnementaux pouvaient jouer un rôle important dans la distribution des cas d’infection.
Des études américaines et anglaises, publiées au cours de l’été 2020, ont démontré que la pandémie frappait plus sévèrement les populations désavantagées: à Londres, par exemple, une personne de niveau socio-économique inférieur présentait 80% plus de chance d’être affectée qu’une personne aisée.
Une équipe des HUG, de l’Université de Genève et de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) vient non seulement de confirmer, mais aussi d’approfondir ces travaux. Des médecins et géographes se sont penchés sur les données de la première vague de Covid-19 au printemps dernier dans le canton de Genève, plus précisément sur la façon dont les foyers de l’épidémie ont perduré dans le temps en fonction des différents milieux socio-économiques. En chiffres, après deux mois, il ne restait plus que 30% des foyers dans les zones les plus aisées, contre 85% dans les zones défavorisées. Le constat est net: un foyer de Covid-19 a beaucoup plus de chances de persister dans les parties défavorisées de l’agglomération.
Une approche géographique de la pandémie
Le Pr Idris Guessous, principal initiateur de l’étude et médecin-chef du Service de médecine de premier recours des HUG, attribue cette corrélation aux conditions de vie et d’habitation. En particulier le manque de place, mais aussi des différences d’attitude face aux technologies de traçage des cas et aux mesures de distanciation. Il souligne bien qu’il ne s’agit pas de stigmatiser des quartiers, mais au contraire de fournir les outils pour des interventions mieux ciblées, plus efficaces en termes de santé publique, et de mieux lutter contre des inégalités potentielles d’exposition et de risque.
L’étude se fonde sur une division du canton en 2830 cellules d’habitation et sur le suivi méticuleux des cas de Covid-19 du 26 février au 30 avril 2020. Les résultats de tests SARS-CoV-2 réalisés par les équipes des Prs Laurent Kaiser et Nicolas Vuilleumier aux HUG ont été analysés par le groupe de recherche et notamment par David de Ridder, doctorant UNIGE-HUG-EPFL et premier auteur de la publication. Ces données, qui couvrent 1079 foyers d’infection dans le canton de Genève, se distinguent par leur précision dans l’espace et dans le temps, ce qui permet ce type d’analyse très fine, sans omettre, évidemment, que la ville fut un des endroits les plus fortement affectés au monde lors de la première vague.
Une longue collaboration en géomédecine
Le Pr Idris Guessous est un habitué de ce type d’analyse, qui combine la médecine et la géographie, et lie les problèmes de santé aux lieux d’habitation et aux conditions de vie. «Je collabore depuis plusieurs années avec mon collègue géographe Stéphane Joost de l’EPFL. Cette alliance interdisciplinaire s’avère très précieuse et fructueuse», s’enthousiasme-t-il.
Les deux spécialistes ont par exemple mené ces dernières années une étude sur l’indice de masse corporelle à Lausanne et à Genève, mettant en évidence un lien très fort entre la distribution spatiale du surpoids et le lieu d’habitation. Ils ont appliqué les mêmes méthodes aux problèmes de sommeil liés au bruit dans la ville et montré que certains quartiers étaient affectés de manière systématique par des problèmes de santé sévères liés au manque de sommeil, et fortement corrélés au niveau de bruit autour des lieux d’habitation.
De la parole aux actes
Il reste désormais à traduire ces études en action de santé publique sur le terrain. «A Lausanne par exemple, les autorités se sont montrées très réceptives à notre étude sur le bruit, explique Idris Guessous. La ville avait déjà une carte du bruit en décibels, mais notre étude a précisé à quels endroits exactement l’impact sur la santé publique était le plus important. Nos observations ont ainsi guidé les travaux de pose de revêtement silencieux.»
Cette approche correspond pleinement à la mission de santé publique des HUG. «Nous soignons souvent des personnes pour un problème de santé fortement lié au mode de vie, mais une fois le traitement terminé, ces personnes rentrent chez elles, dans un environnement parfois fortement lié à leur problème de santé. Il est donc crucial que les HUG participent à guider les collectivités publiques qui s’occupent de ces problèmes de santé publique en dehors des hôpitaux.»
Texte:
- Frédéric Pont
Photos:
- Julien Gregorio