Souffrant d’addiction aux jeux vidéo*, Philippe** passe des nuits et des journées entières derrière son écran. Après une thérapie aux HUG, il a identifié des ressources pour gérer son problème.
Aussi loin qu’il s’en souvienne, Philippe a toujours eu une capacité d’immersion complète et totale dans un monde imaginaire. Enfant, chez ses grands-parents, il reste scotché pendant des heures devant la télé. Adolescent, il prend un livre et le dévore jusqu’au milieu de la nuit. A cette époque, il découvre les premiers jeux vidéo sur l’ordinateur familial et passe un pacte avec ses parents: pas plus d’une heure par jour. «Je mentais et jouais pendant des heures lorsque j’étais seul. J’ai fini par désinstaller le jeu, car je n’arrivais pas à gérer un tel dosage», se souvient-il.
Des mangas aux jeux vidéo
Puis s’ensuivent des études universitaires et des nuits entières à lire des mangas sur Internet. Le rythme effréné ne diminue pas avec l’entrée dans le monde professionnel. «Ce n’était pas un choix, je faisais cela malgré moi. Je voulais juste oublier la réalité. Heureusement, à côté de cela, je pratiquais beaucoup la méditation, qui était d’un grand soutien. J’arrivais à enchaîner mes journées de travail sans dysfonctionner et avec de rares absences», dit-il. Il y a une dizaine d’années, à l’approche de la trentaine, Philippe consomme à profusion les séries TV, mais surtout se plonge dans des jeux vidéo de grande stratégie où les parties sont interminables.
«Les jeux vidéo sont un support extraordinaire : avec très peu, vous êtes complètement immergé dans un autre monde. En fait, je suis dépendant à un état d’esprit, à une excitation, à un besoin d’adrénaline.» Que le quotidien ne lui apporte pas. Il connaît une certaine solitude, se dit dépressif et accumule des frustrations. «Mes manques dans la vie réelle sont remplacés par des aventures imaginaires. Il y a une telle intensité dans ces jeux de stratégie qu’il est quasi impossible de s’arrêter.»
Cercle vicieux épuisant
Philippe se rend compte qu’il est pris dans un cercle vicieux. «Anxieux, je m’évade par le jeu, mais c’est une façon de camoufler mon problème. Et, à la fin de la partie, il y a l’anxiété… d’arrêter de jouer. » Il est conscient de son problème : «Je jouais pendant 24 heures de suite non pas par plaisir, mais pour ne pas avoir à me retrouver face à mon anxiété. Quand on a joué toute la nuit, on se sent super mal. Et on néglige ses besoins fondamentaux: on ne mange pas, on ne dort pas.»
Malgré tout, la situation ne dérape pas complètement. Ses filets de sécurité? Son entourage proche, auquel il se confie et qu’il appelle au secours pour sortir de l’immersion, et sa crainte de perdre son travail. Et, surtout, il s’adresse à la Dre Sophia Achab, responsable de la Consultation ReConnecte, avec laquelle il va suivre une psychothérapie visant à le reconnecter avec ses objectifs de vie. «Les séances étaient axées sur la compréhension des facteurs déclenchant mon envie de jouer et l’identification de ressources pour me sentir moins impuissant. J’ai apprécié que cette prise en charge soit centrée sur ma personne. Il y avait un grand respect de ma personnalité et de la nature singulière de ma pathologie. J’ai appris à mieux me connaître.»
Aujourd’hui, il entreprend des activités qui lui apportent de l’adrénaline dans sa vie. Lorsqu’il est anxieux, plutôt que des jeux vidéo interminables, Philippe écoute un livre audio ou joue aux échecs. «J’ai substitué l’objet d’addiction par autre chose ayant moins de conséquences. Avant, je me sentais complètement livré à cette compulsion. Désormais, je me sens moins impuissant. En comprenant ma problématique, j’ai retrouvé le pouvoir d’agir.» Les tendances addictives ne sont pas définitivement parties, mais Philippe arrive à mieux les délimiter. «Je peux regarder des séries télé sur un week-end, mais ça ne déborde pas.»
* Dépendance aux jeux vidéo : trouble psychologique caractérisé par un besoin irrésistible et obsessionnel de jouer à des jeux vidéo. Progressivement, le jeu prend de plus en plus de place et, malgré des conséquences délétères sur des aspects importants de la vie (rendement au travail ou à l’école, relations sociales, etc.), la personne dépendante ne contrôle plus le temps passé à jouer.
** Prénom d’emprunt.
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Texte:
- Giuseppe Costa
Photos:
- Unsplash/Corentin Marzin