Nommé doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Genève, le Pr Antoine Geissbuhler, par ailleurs directeur de l’enseignement et de la recherche aux HUG, s’est fixé l’objectif ambitieux de relever les nombreux défis qui s’imposent à l’enseignement de la médecine d’aujourd’hui. Rencontre.
Pulsations : Qu’aimeriez-vous insuffler à la Faculté de médecine de l’Université de Genève pour les quatre années à venir ?
Pr Antoine Geissbuhler : Je ne suis pas là pour faire la révolution. Mais il y a plusieurs ambitions que j’aimerais mener à bien. Tout d’abord, faire de la faculté un lieu inclusif et de débat participatif. L’objectif est de renforcer le sentiment d’appartenance et d’engagement des élèves en médecine, notamment face aux grands défis actuels que sont la durabilité du système de santé, la digitalisation ou encore la gestion des données. Il est important également à mes yeux de travailler sur les questions de bientraitance, d’égalité et de diversité dans le vivre-ensemble de la faculté. Enfin, l’un des grands défis actuels est de redonner du sens aux métiers de la santé. Dans un monde en mutation, la question est de savoir comment réenchanter ces professions, malgré les nombreuses contraintes démographiques, financières ou administratives. Mais aussi, dans une ère de plus en plus compétitive, comment bien former et retenir les talents scientifiques afin de conserver notre rang dans le classement des meilleures universités du monde.
Les étudiantes et étudiants en médecine sont-ils conscients de ces grands enjeux ?
Ils et elles ont en tout cas conscience des défis liés à la pratique médicale, à l’évolution de la profession, au fait qu’elle soit sous pression, notamment avec la clause du besoin qui limite l’accès à l’installation en cabinet. Ce métier est de moins en moins perçu comme une vocation. De plus, il n’est aujourd’hui plus si séduisant que cela. Nous devons nous atteler, conjointement avec les autorités sanitaires, à redonner une certaine attractivité à cette magnifique profession, en s’assurant que les personnes formées trouvent une place enviable et responsable dans la société.
Comment faire, concrètement, pour rendre ce métier plus attirant ?
Il y a plusieurs pistes, notamment la revalorisation de la médecine de premier recours. Nous manquons en Suisse de médecins de première ligne (généralistes, médecins de médecine interne générale, pédiatres…), qui sont capables de prendre en charge les patients et patientes de manière globale et sur la durée. Nous n’en avons que 20 %, alors qu’il en faudrait plus du double pour un système de santé efficient. Il faut aussi développer les compétences d’un management moderne et du travail interprofessionnel.
Vous portez également la casquette de directeur de l’enseignement et de la recherche aux HUG. Quels sont vos projets de développement pour cette filière ?
Un constat a été fait : la recherche clinique en Suisse, malgré les moyens dont elle dispose, n’est pas au niveau de ce qu’elle pourrait être. À l’ère de la médecine de précision, il faut fédérer les efforts à l’échelle nationale, voire internationale. Nos mentalités et nos outils doivent évoluer. Il nous faut aussi rapprocher la recherche fondamentale, qui se fait à l’université, de la recherche clinique, qui se fait aux HUG. Le passage de l’une à l’autre permettra de développer de nouveaux axes d’étude et d’en faciliter la transposition dans les soins aux patients et patientes.
Que ce soit dans le domaine de la recherche, de la formation ou encore des soins, le grand sujet actuel est l’intelligence artificielle. Quels questionnements soulève-t-elle ?
C’est en effet un défi commun à l’université et à l’hôpital. Elle rebat les cartes dans l’enseignement, aussi bien dans les manières d’apprendre que dans les manières de pratiquer. Dans les soins, cela fait près de cinquante ans que l’intelligence artificielle est utilisée, en particulier pour l’aide au diagnostic et le choix des traitements. Désormais, elle peut être utile pour des tâches moins gratifiantes comme la documentation ou la génération de documents, qui sont certes nécessaires, mais qui prennent énormément de temps aux médecins, au détriment du temps passé avec les patients et patientes. Nous devons parvenir à inverser la tendance et à recourir à l’intelligence artificielle pour libérer les soignants et soignantes de ces tâches administratives, ce qui renforcera la dimension humaine de la pratique médicale. Bien conçus, ces outils permettront aussi aux patients et patientes de jouer un rôle plus actif dans leur prise en charge.
Texte:
- Clémentine Fitaire
Photos:
- François Wavre | lundi 13