Traitements inédits, prouesses de l’endoscopie, prévention dès le plus jeune âge : la gastro-entérologie se veut de plus en plus multidisciplinaire et innovante pour comprendre, diagnostiquer et prendre en charge les troubles passagers ou plus complexes de nos intestins.
Qu’ils nous terrassent de douleur, gargouillent frénétiquement, rendent indispensable la présence de toilettes à proximité, se traduisent par de l’absentéisme scolaire ou qu’ils se détériorent en silence au fil du temps : nos intestins peuvent être le siège de nombreux maux. Comment les éviter, les identifier et les soigner ? De nombreux défis s’imposent aujourd’hui à la gastro-entérologie au sujet de ces deux protagonistes clés de notre digestion que sont l’intestin grêle et le côlon – ou «gros intestin» (lire infographie de l'intestin). Car si la compréhension globale des mécanismes digestifs est connue, les intestins n’ont pas encore révélé toutes leurs subtilités et leurs dysfonctionnements sont d’une immense complexité.
Révolution grâce au microbiote
Le rôle du microbiote notamment demeure particulièrement mystérieux. «Le sujet est en vogue à juste titre, car le microbiote est sans aucun doute le siège de fonctions majeures, dans les intestins et au-delà, mais de nombreux aspects restent à élucider. Pour autant, il est depuis quelques années au cœur d’un traitement révolutionnaire : la transplantation fécale (aussi appelée "transfert de matières fécales", ndlr), souligne le Pr Jean-Louis Frossard, médecin-chef du Service de gastro-entérologie et hépatologie. Son principe ? Utiliser le microbiote intestinal sous forme de médicament. Produits dans des conditions de laboratoire très strictes, ces nouveaux traitements sont le plus souvent délivrés dans le tube digestif par sonde naso-duodénale ou, depuis peu, par gélules. Leur vocation : soigner l’infection à Clostridioides difficile, une maladie intestinale complexe et souvent grave. «Dans 90% des cas, deux prises suffisent à l’enrayer chez des personnes pour qui les antibiotiques étaient devenus inefficaces», détaille l’expert.
Pr Jean-Louis Frossard, médecin-chef du Service de gastro-entérologie et hépatologie.
Constellation de facteurs
Composition du microbiote propre à chaque individu, hygiène de vie, prédisposition génétique, infections virales, environnement psychosocial : c’est bien souvent une constellation de facteurs qui conditionnent la santé de nos intestins. «Même si, là aussi, des zones d’ombre demeurent, il est certain que la prévention est un levier majeur. Or beaucoup reste à faire, à titre personnel comme collectif», souligne le Pr Frossard. Et de préciser : «Face au fléau du cancer colorectal notamment, qui atteint des personnes de plus en plus jeunes, le dépistage (dès l’âge de 50 ans en général) est essentiel, mais il est aussi crucial de lutter contre deux facteurs de risque clairement identifiés : l’obésité et le tabagisme.» Et puis, il y a ce que nous mangeons : «Dès le plus jeune âge, la santé des intestins et la richesse du microbiote passent par une alimentation la plus variée, saine, équilibrée et riche en fibres possible», souligne la Pre Valérie McLin, médecin responsable de l’Unité de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques.
Plus de 4 000
Le nombre de cas de cancer colorectal recensés chaque année en Suisse.
Selon les âges
Les prouesses en cours découlent aussi des innombrables progrès dans la prise en charge de ces maladies intestinales qui peuvent, selon les cas, être gravement invalidantes ou demeurer longtemps silencieuses. «Chez les tout-petits, soit jusqu’à 2 ans environ, les symptômes les plus fréquents sont les pleurs, l’irritabilité, la présence de sang dans les selles, les reflux et une faible prise de poids. Puis, apparaît la cause numéro une des douleurs abdominales : la constipation. Le plus souvent, celle-ci n’est pas d’origine pathologique, mais découle d’un quotidien où les enfants font volontiers l’impasse sur le passage aux toilettes », décrit la Pre McLin. Et d’ajouter : «Quels que soient les symptômes, la vigilance s’impose. Car, au-delà du quotidien perturbé, les maladies intestinales touchant les enfants peuvent être à l’origine d’un défaut d’assimilation des nutriments. Par conséquent, elles peuvent avoir une incidence majeure sur la croissance, le capital osseux et la puberté. D’où l’importance d’une prise en charge globale quand un trouble est avéré, incluant des spécialistes en nutrition.»
Pre Valérie McLin, médecin responsable de l’Unité de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition pédiatriques
Maladie cœliaque – ou intolérance au gluten, intolérance au lactose, douleurs abdominales fonctionnelles : les pathologies possibles sont multiples et, comme pour les adultes, les investigations se décident au cas par cas. «Nous disposons de nombreuses techniques – bilans sanguins, examens endoscopiques (toujours pratiqués sous sédation chez les enfants), tests pour évaluer intolérances ou allergies, échographie ou encore Pillcam, mais l’examen clinique et la prise en compte de l’histoire de l’enfant sont aussi déterminants», note l’experte.
Autant d’approches qui se retrouvent aussi du côté des soins adultes, où l’endoscopie a révolutionné la prise en charge comme les traitements eux-mêmes : «Depuis une dizaine d’années, cette technique a métamorphosé la gastro-entérologie. Elle offre des diagnostics toujours plus précis et traite directement de nombreuses lésions», précise le Pr Frossard. Et d’ajouter : «Ces innovations se doublent de toutes celles qui sont en cours dans le domaine de la nutrition (par exemple, pour soulager les douleurs liées au syndrome de l’intestin irritable), en chirurgie viscérale et dans le domaine pharmacologique. En effet, aujourd’hui, de nouveaux traitements biologiques ou anti-inflammatoires voient le jour, notamment pour les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) – maladie de Crohn et rectocolite hémorragique –, des pathologies en constante augmentation. Survenant le plus souvent en âge scolaire ou chez les jeunes adultes, ces maladies particulièrement éprouvantes péjorent beaucoup le quotidien des personnes qui en souffrent.»
Entre 15 et 30 ans
puis entre 50 et 80 ans, les âges auxquels se manifestent les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI).
Intolérance, allergie : comment s’y retrouver ?
L’impression de mal digérer gluten, lactose ou encore arachides peut se muer en questionnements sans fin et parfois inciter à désigner un peu vite un coupable « idéal » dans nos assiettes… Décryptage express avec le Pr Philippe Eigenmann, médecin responsable de la consultation d’allergologie pédiatrique.
Intolérance ou allergie ?
Pour la première, les symptômes peuvent être diffus : mauvaise qualité de sommeil, problèmes de concentration ou encore douleurs abdominales. La seconde se manifeste plutôt par le biais d’éruptions cutanées et, dans les cas sévères, de troubles respiratoires parfois graves.
Comment savoir ?
Seule l’expérience de l’éviction de l’aliment suspecté sur une période donnée peut aider à confirmer l’intolérance, si les symptômes disparaissent. Pour l’allergie, le plus souvent des tests sanguins et cutanés sont requis. Pour le cas particulier de la maladie cœliaque (intolérance au gluten), une endoscopie peut être nécessaire.
Quel traitement ?
Ne plus consommer l’aliment incriminé est la principale stratégie à adopter en cas d’intolérance et plus encore d’allergie, l’absorption de la substance allergène pouvant engendrer des manifestations graves. En cas de maladie cœliaque, l’éviction du gluten doit être totale et à vie.
Témoignage, NICOLAS, 50 ans
« Je mentirais si je disais que j’accepte de vivre avec cette stomie, mais… »
«Tout a commencé en 2022, lorsque j’ai senti une boule au niveau de mon périnée. Les investigations ont montré qu’il s’agissait d’une fistule anale, sorte de canal s’étant creusé depuis un abcès dans mon côlon. Or, non seulement elle ne s’est pas résorbée malgré les traitements, mais surtout, d’autres n’ont cessé d’apparaître. Conséquence : j’ai été opéré douze fois en deux ans. Épuisé par les récidives et les douleurs, j’ai sombré dans la dépression. Finalement, ultime recours pour soulager mon côlon et viser une rémission, mon médecin aux HUG m’a proposé la pose d’une stomie, autrement dit une poche externe recueillant les selles. Je connaissais cette technique, mais lorsqu’elle nous concerne directement, c’est autre chose… Les premiers jours à l’hôpital ont été cauchemardesques. Les bruits associés au dispositif, la peur des fuites de selles, la gêne vis-à-vis de mon propre corps : tout m’a accablé. Ce qui m’a sauvé a été de passer un mois en réhabilitation à la Clinique de Crans-Montana des HUG. J’y ai reçu une aide précieuse pour me familiariser avec le dispositif et le soutien psychologique dont j’avais besoin. Aujourd’hui ? Je mentirais si je disais que j’accepte de vivre avec cette stomie, mais je m’y suis habitué. J’ai aussi intégré un groupe de parole organisé par la Ligue genevoise contre le cancer, repris le travail et même les voyages. Si tout va bien et que mes lésions cicatrisent enfin, la stomie me sera retirée dans quelques mois. »
Dossier Maladies digestives : Mieux prévénir et soigner
Texte:
- Laetitia Grimaldi
Photos:
- Bogsch & Bacco