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  • Elodie Lavigne

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HUG: mission recherche médicale

Avec les soins et l’enseignement, la recherche scientifique est l’une des missions des HUG. Un domaine que le Covid-19 a brutalement mis sur le devant de la scène dès le début de la pandémie. Comment sont réalisées les études cliniques? Qu’est-ce qu’une preuve scientifique? Plongée dans les méthodes de fabrication de la science au service des patients.

Fascinante et complexe, la science médicale est depuis plus d’un an au centre de l’attention. La pandémie de Covid-19 a quelque peu levé le voile sur la recherche scientifique, ses pouvoirs et ses limites, suscitant par là confiance et optimisme, mais aussi méfiance chez le grand public. Comment un nouveau virus peut-il être aussi ravageur et insaisissable? Pourquoi autant de tâtonnements dans la mise en place de traitements? Comment un vaccin a pu voir le jour si rapidement? Autant de questions amenant une certaine perplexité, voire un regard critique sur la médecine. Une science qui ne se révèle pas aussi puissante ni exacte que nous l’aurions souhaité mais qui, de par son caractère évolutif, est en même temps source d’espoir, comme l’a démontré l’avènement du vaccin contre le Covid-19.

Clinique, fondamentale ou translationnelle

Depuis le début de la pandémie nous assistons, en direct, à la progression du savoir médical grâce au travail scientifique. Avec la formation, la recherche fait partie des activités académiques de l’hôpital. Elle occupe une place importante en termes de budget d’abord, puisque 10% de celui-ci y est consacré. Elle est évidemment aussi en lien direct avec la mission des HUG, puisque le but premier de la recherche est d’avancer dans la compréhension des maladies et la prise en charge des patients.

Il existe plusieurs types d’investigations scientifiques en médecine. À l’hôpital, ce sont surtout des études cliniques, orientées vers les patients. La recherche fondamentale (biologique, cellulaire ou moléculaire) est plutôt l’affaire de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE) et se pratique au sein de laboratoires. Entre les deux se situe la recherche translationnelle qui consiste à poser des questions cliniques et à y répondre par le biais de la recherche fondamentale ou, à l’inverse, à appliquer des découvertes fondamentales en clinique.

Une recherche plurielle

La recherche clinique est elle-même plurielle. Dans un essai thérapeutique, il est possible d’évaluer l’efficacité d’une nouvelle substance ou encore tester une molécule déjà connue dans une autre indication. Les études cliniques peuvent également porter sur des programmes de soins dans différents domaines, comme l’alimentation, l’exercice physique, la méditation de pleine conscience, etc. Les études populationnelles visent de leur côté à identifier, au sein d’une population donnée, les facteurs prédisposant à certaines affections (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires, par exemple). Les études de cohortes, pour leur part, permettent un suivi dans le temps d’un grand volume de patients sur des thématiques particulières (VIH, transplantation, prothèse de hanche, etc.). Dans le cas du Covid-19, par exemple, la santé des personnes infectées est évaluée dans le temps à intervalles réguliers pour identifier et traiter les séquelles potentielles, dans une étude dite prospective.

À l’inverse, les études rétrospectives analysent dans la durée et après coup le bien-fondé d’une prise en charge sur la base des données des dossiers patients. La participation à une étude clinique peut se résumer à répondre à un questionnaire ou consister en différentes visites médicales, en une intervention, voire un séjour dans l’unité d’investigation clinique. Elle peut être ponctuelle ou durer plusieurs mois, voire plusieurs années.

Quels que soient le format et la question posée, «l’approche scientifique consiste à rechercher, sur la base d’une hypothèse, un niveau de preuve permettant d’affirmer ou d’infirmer un certain nombre d’éléments», explique le Pr Cem Gabay, directeur de l’enseignement et de la recherche aux HUG et doyen de la Faculté de médecine de l’UNIGE. Savoir si une molécule est efficace ou non, déterminer dans quelle mesure un virus ou une bactérie est associé à telle ou telle maladie, analyser les mécanismes impliqués… Souvent, une question en amène une autre, poursuit le Pr Gabay: «Dans un essai thérapeutique, on veut savoir comment le médicament se distribue dans le sang, comment il agit, quelle est la bonne dose à administrer et celle à ne pas dépasser afin d’éviter des effets secondaires, ou encore connaître le rapport entre efficacité et économicité en comparaison à d’autres traitements existants.»

Une démarche rigoureuse

Pour obtenir des réponses significatives, la démarche scientifique doit être rigoureuse et répondre à des exigences précises (lire l'article La recherche pas à pas). La meilleure qualité est obtenue avec des études randomisées en double aveugle. Deux groupes de patients sont comparés: le premier reçoit le traitement, tandis que l’autre reçoit un placebo (sans substance active). Ni les participants ni les investigateurs ne savent à quel groupe ils ou elles appartiennent. «Ceci n’est toutefois pas possible dans tous les cas. Lorsqu’un chirurgien implante un pacemaker par exemple, il sait quel dispositif il pose à son patient», note le Pr Jérôme Pugin, chef du Centre de recherche clinique et du Service des soins intensifs des HUG. Une telle démarche vaut aussi pour les approches non pharmacologiques. Même si les résultats d’une étude sont significatifs, pour qu’une attitude thérapeutique change, «il faut au moins deux grandes études, afin d’affirmer que l’effet démontré n’est pas dû au hasard», explique le Pr Pugin. Dans le cas où les résultats obtenus ne sont pas ceux attendus, «publier des conclusions négatives est tout aussi important, car cela permet de ne pas exposer inutilement un patient à un traitement», poursuit-il.

La valeur d’une étude tient à différents facteurs: la pertinence de la question posée, la rigueur de l’approche, le respect du protocole, la transparence, la taille de l’échantillon, le caractère définitif des résultats obtenus, la collaboration entre plusieurs centres de recherche, notamment. La revue dans laquelle l’article paraît est un autre gage de validité, poursuit le Pr Pugin: «L’idée est de dessiner une étude qui pourra être publiée dans une revue d’excellence, ce qui n’est pas si fréquent, mais qui arrive régulièrement pour nos chercheurs aux HUG.» Pour en arriver là, le chemin est long et laborieux. Il faut faire preuve de ténacité et de conviction, y compris dans la demande de financements. Différentes sources, publiques et privées, existent. Chaque service de l’hôpital dispose d’un budget pour la recherche. À plus large échelle, le soutien est assuré par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, l’industrie pharmaceutique ainsi que de nombreuses fondations privées (Fondation privée des HUG, Children Action, Association suisse pour la recherche sur l’Alzheimer, Fondation Dinu Lipatti, etc.).

Véritable partenariat

La participation des patients est elle aussi indispensable pour progresser dans la connaissance et améliorer les soins, commente le Pr Pugin: «Dans toute bonne étude performante et ambitieuse, nous demandons l’avis des patients au moment d’écrire le protocole, surtout pour les maladies chroniques. Car ils connaissent bien leur maladie et savent ce dont ils ont besoin.» Plus qu’un sujet d’étude, les patients sont de véritables partenaires. Une nouvelle plateforme de recherche clinique leur est désormais destinée. Ils accèdent aux informations et résultats des recherches et donnent leur avis sur leur expérience.

Malgré la technicité dont elle bénéficie, la recherche reste profondément humaine parce qu’elle est réalisée par des femmes et des hommes désirant faire avancer la science. Alors forcément, cette dimension humaine peut amener des biais et des défauts dans son fonctionnement, d’où l’importance d’une régulation forte, pour éviter les dérapages tels que ceux survenus durant la première vague de Covid-19 (plus de 100 articles scientifiques publiés dans des revues puis rétractés). «En tant que scientifiques, nous devons être très prudents avant de communiquer des résultats. Il faut laisser la science travailler à son rythme», conclut le Pr Gabay.

Témoignage: Malika, 71 ans 

Malika, 71 ans, participe à une étude clinique qui évalue une thérapie pour la préservation de la fonction rénale après transplantation du rein. «Lorsque mon néphrologue m’a demandé si j’étais d’accord de participer à cette étude, j’ai spontanément accepté afin d’aider la recherche. Il s’agissait de prendre un médicament deux fois par jour pendant deux ans, avec un suivi trimestriel pour des analyses de sang. Lorsque j’ai su que j’avais reçu le placebo, j’étais un peu déçue, même si je savais que cela pouvait arriver. Si c’était à refaire, je le referais. D’ailleurs, je vais prochainement participer à une étude sur l’ostéoporose. Nous sommes très bien informés du déroulement des choses. Nous recevons de la documentation et nous pouvons ensuite poser des questions. Personne ne nous force, nous sommes libres de participer ou non.»

Témoignage: Ingrid, 47 ans

Ingrid, 47 ans, participe à une étude sur les effets d’une alimentation à heures fixes chez les personnes en surpoids ou obèses. «Durant les quinze premiers et derniers jours de l’étude, il faut noter ce qu’on mange dans une application, porter une montre pour quantifier son sommeil et son activité physique, et mesurer son taux de glycémie via un autre appareil. Une série d’examens (prise de sang, calorimétrie, densité osseuse, poids, IMC, etc.) est réalisée au début et à la fin de l’étude. Pendant trois mois, je ne dois pas manger avant midi ni après 20 heures et je dois prendre en photo la première et la dernière chose que j’avale. J’avais peur d’avoir faim le matin, mais ce n’est pas le cas. Pour l’instant, mon poids est stable, c’est déjà bien. Peut-être que les résultats me motiveront à une autre prise en charge. Dans tous les cas, je suis contente de faire avancer la science.»

Témoignage: Nathalie, 54 ans

Nathalie, 54 ans, atteinte de la maladie de Charcot, a accepté de tester une nouvelle molécule contre la douleur. «J’ai beaucoup de douleurs neurologiques, surtout dans les membres inférieurs. J’étais motivée à participer à cette étude dans l’espoir de moins souffrir pendant quelque temps. Le traitement a très bien fonctionné. L’étude est terminée et comme la molécule n’est pas encore homologuée, je ne peux plus en bénéficier. Il est difficile pour moi de revivre ce niveau de douleur, mais j’espère, malgré ma déception de ne pas pouvoir poursuivre ce traitement, avoir apporté quelque chose à la science.»

La médecine basée sur les preuves (evidence based medicine ou EBM)

Ce concept permet de déterminer le niveau de preuve scientifique d’un médicament, d’une stratégie thérapeutique ou encore de mesures de prévention sur la base des connaissances scientifiques, issues des recherches cliniques. Le niveau A, le meilleur, signifie que plusieurs essais randomisés, contrôlés et de grande envergure ont répondu de manière univoque à une question donnée. À l’opposé, le niveau E, le plus bas degré d’évidence, se réfère à une simple recommandation issue d’un comité d’experts. Le concept d’EBM est central pour toutes les recommandations qui régissent la pratique médicale. 

  1. Essais comparatifs randomisés de forte puissance; méta-analyse d’essais comparatifs randomisés; analyse de décision fondée sur des études bien menées.
  2. Essais comparatifs randomisés de faible puissance; études comparatives non randomisées bien menées; études de cohortes.
  3. Études de cas-témoins.
  4. Études comparatives comportant des biais importants; études rétrospectives; séries de cas; études épidémiologiques descriptives (transversale, longitudinale).
  5. En l’absence d’études, les recommandations sont fondées sur un accord professionnel.

Sous l’œil de la Commission cantonale d’éthique de la recherche

Tout projet de recherche médicale doit être approuvé par la Commission cantonale d’éthique de la recherche (CCER). Son rôle est d’évaluer les projets et de vérifier qu’ils répondent aux exigences de la loi relative à la recherche sur l’être humain (LRH). La CCER reçoit environ 300 projets par an, dont une vaste majorité provient des HUG. En raison de la pandémie, les demandes ont augmenté en 2020, avec par ailleurs une hausse de projets non-Covid. «La plupart du temps, nous rendons une décision provisoire avec une demande de modifications. Souvent, c’est la partie consacrée à l’information patients, relative au consentement, qui pose problème», relève le Pr Bernard Hirschel, président de la CCER. Un travail de vulgarisation et d’explicitation, dans un but de transparence, est alors demandé.

Plusieurs grands axes de recherche

Parmi les projets soumis à l’avis de la commission, beaucoup concernent des essais thérapeutiques: «Les traitements d’immunothérapie en oncologie ont le vent en poupe», observe le Pr Hirschel. Les études à long terme sont aussi nombreuses. Les axes de recherche sont multiples. En épidémiologie, par exemple, une grande étude portant sur l’infection au Covid-19 a été menée en 2020 par l’intermédiaire du Bus santé. Le domaine des neurosciences est aussi très investigué, notamment en lien avec la prévention précoce de la maladie d’Alzheimer. En infectiologie, les antibiotiques sont sous la loupe, avec un objectif triple: raccourcir la durée des traitements, minimiser les effets secondaires et réduire la résistance à ces substances. Les maladies métaboliques font aussi l’objet de nombreuses recherches (diabète, obésité, etc.).

La recherche pas à pas

D’une hypothèse de recherche à la publication de résultats dans une revue médicale, le chemin que suit une étude scientifique est long et rigoureux. En voici les étapes clés.

Pour qu’une étude scientifique puisse voir le jour, il faut d’abord établir un protocole de recherche selon des règles strictes. «Il s’agit de dire ce qu’on fait et de faire ce qu’on dit», souligne le Pr Jérôme Pugin, chef du Centre de recherche clinique et du Service des soins intensifs des HUG. Tout doit être explicité: après une revue de la littérature scientifique, l’hypothèse de recherche est formulée, ses objectifs fixés, la population cible (âge, sexe, vulnérabilité, etc.) déterminée, puis la taille de l’échantillon est calculée en fonction de la prévalence de la maladie et de sa mortalité, notamment. Une fois la puissance de l’étude évaluée, il est temps de décrire la manière de sélectionner les patients, le mode et la durée d’administration du traitement et son suivi. Il convient ensuite de recruter les participants et d’obtenir leur consentement. Un point très important, souligne le Pr Pugin: «Déroulement de l’étude, avantages et inconvénients, effets secondaires potentiels, confidentialité et sécurisation des données, clause de retrait: l’information doit être détaillée et vulgarisée. Le patient donne son accord en signant un formulaire de consentement spécifique devant témoin.»

La question du financement est elle aussi cruciale. Les coordinateurs du Centre de recherche clinique (CRC) peuvent aider à en estimer le coût.

Le protocole de recherche est ensuite soumis à l’avis de la Commission cantonale d’éthique de la recherche (lire l'encadré Sous l’œil de la Commission cantonale d’éthique de la recherche). Si celui-ci est favorable, l’étude peut débuter. Une palette de spécialistes interviennent durant tout le processus de l’étude clinique. Les médicaments et placebos sont par exemple préparés par des pharmaciens qui se consacrent à la recherche. Un personnel spécialisé récolte les données des patients, puis les insère dans une banque de données sécurisée à laquelle personne d’autre ne peut accéder. Le CRC effectue une surveillance pour vérifier que l’étude répond aux bonnes pratiques et que le protocole est respecté. Des biostatisticiens analysent ensuite les données à l’aide de logiciels de pointe, puis celles-ci sont organisées dans des tableaux et des graphiques. Pour rendre compte des résultats à la communauté scientifique, un article est rédigé selon une structure définie. Avant d’être publié, ce dernier est revu par un comité d’édition. Enfin, les auteurs doivent répondre aux critiques et mettre le texte en conformité. La publication peut alors être effectuée. 

10%

La subvention de l’État pour les activités académiques aux HUG – recherche et enseignement – se monte à 10% du budget des HUG.

389

En 2020, le Centre de recherche clinique a travaillé sur 389 études: 270 études prospectives et 119 études rétrospectives.

87%

60’000 patients des HUG ont signé le consentement général. Cela signifie que 87% des patients ont accepté la réutilisation de leurs données et échantillons biologiques à des fins de recherche, de manière anonyme, confidentielle et sécurisée. Tandis que 13% des patients ont refusé la réutilisation de leurs données. Le consentement peut être révoqué en tout temps. Pour en savoir plus, consulter la page : Aider la recherche.

Types d'essais cliniques effectués au Centre de recherche clinique en 2020

  • 4% : Transplantation, thérapie génique
  • 17% : Dispositifs médicaux
  • 43% : Médicaments
  • 35% : Autres essais cliniques

     

«Dans toute bonne étude performante et ambitieuse, nous demandons l’avis des patients au moment d’écrire le protocole, surtout pour les maladies chroniques». Pr Jérôme PUGIN
«Dans un essai thérapeutique, on veut savoir comment le médicament se distribue dans le sang, comment il agit, quelle est la bonne dose à administrer et celle à ne pas dépasser afin d’éviter des effets secondaires». Pr Cem GABAY
 

Texte: 

  • Elodie Lavigne

Photos: 

  • iStock/ma_rish
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